mercredi, novembre 25, 2009

Royaume-Uni : Les autorités devraient ouvrir une enquête judiciaire Sur la complicité d’officiels dans des actes de torture .

Dessin de Steve Bell paru dans le quotidien britannique The Guardian le 9 juillet 2009.
© 2009 Steve Bell
Le gouvernement britannique devrait cesser ses manœuvres dilatoires à ce sujet

(Londres, le 24 novembre 2009) - Le gouvernement britannique devrait ordonner immédiatement une enquête judiciaire indépendante sur le rôle et la complicité de ses services de sécurité dans la torture de personnes soupçonnées de terrorisme au Pakistan, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Le rapport de 46 pages, intitulé « Cruel Britannia: British Complicity in the Torture and Ill-treatment of Terror Suspects in Pakistan » (« Cruel Britannia : La complicité britannique dans la torture et les mauvais traitements infligés à des personnes soupçonnées de terrorisme au Pakistan » présente les témoignages de victimes et de leurs familles dans les cas de cinq citoyens britanniques d'origine pakistanaise torturés au Pakistan par des agents de sécurité pakistanais entre 2004 et 2007. Il s'agit de Salahuddin Amin, Zeeshan Siddiqui, Rangzieb Ahmed, Rashid Rauf et d'une cinquième personne souhaitant garder l'anonymat. Human Rights Watch a constaté que malgré l'absence de preuves de participation directe des agents britanniques aux actes de torture, la complicité du Royaume-Uni dans ces actes est clairement établie.
« Les services de renseignements et la police britanniques ont agi de connivence avec les autorités pakistanaises, et ont fermé les yeux sur la torture au Pakistan de personnes soupçonnées de terrorisme», a affirmé Ali Dayan Hasan, chercheur senior sur l'Asie du Sud à Human Rights Watch. « Les autorités britanniques savaient que les services de renseignements pakistanais avaient systématiquement recours à la torture et étaient au courant de cas spécifiques de ces abus, mais ne sont pas intervenus pour les empêcher. »
Un responsable haut placé du gouvernement britannique a confirmé l'exactitude des allégations faites par Human Rights Watch sur la complicité du Royaume-Uni dans le cadre d'un témoignage devant la commission mixte du Parlement britannique sur les droits humains en février 2009. Une autre source gouvernementale a également affirmé à Human Rights Watch que les conclusions des recherches de l'organisation sur ce thème étaient « tout à fait exactes ».
Ces officiels britanniques ont indiqué que les services de renseignements pakistanais avaient coopéré dans certains cas avec les autorités britanniques en leur transmettant des informations obtenues lors d'interrogatoires abusifs, et que ces informations avaient ensuite utilisées dans le cadre de poursuites judiciaires et d'autres enquêtes au Royaume-Uni. Les agents de la police et des services de renseignements britanniques transmettaient aux responsables pakistanais les questions à poser lors de certains interrogatoires, tout en sachant que ces officiels pakistanais pratiquaient la torture.
Des responsables civils et militaires au sein du gouvernement pakistanais bien informés du dossier ont déclaré à maintes reprises à Human Rights Watch que les autorités britanniques étaient au courant des mauvais traitements infligés aux personnes soupçonnées de terrorisme.
« L'un des principaux enseignements tirés au cours des huit dernières années de lutte mondiale contre le terrorisme, c'est que le recours à la torture et aux mauvais traitements est finalement très contreproductif », a observé M. Hasan. « Non seulement la torture compromet la légitimité des gouvernements qui la pratiquent, mais elle sert aussi de propagande aux organisations terroristes dans le recrutement de leurs adeptes. »
Quatre des victimes ont indiqué avoir rencontré des officiels britanniques pendant leur détention au Pakistan. Dans certains cas ces entretiens ont eu lieu peu de temps après que ces personnes eurent subi les tortures, alors que les signes de torture étaient encore nettement visibles.
Originaire du Grand Manchester en Angleterre, Rangzieb Ahmed a été arrêté dans la province frontalière du nord-ouest pakistanais le 20 août 2006 et accusé d'avoir des liens avec Al Qaïda. Le 7 septembre 2007, il a été transféré au Royaume-Uni. Ahmed Rangzieb a déclaré à Human Rights Watch avoir été à plusieurs reprises torturé, battu, privé de sommeil et soumis à d'autres exactions par les services de sécurité pakistanais pendant sa détention au Pakistan. Ses tortionnaires lui ont arraché trois ongles, a-t-il indiqué à titre d'exemple.
Human Rights Watch a parlé à des membres des services de police pakistanaise impliqués dans les traitements infligés à Ahmed Rangzieb pendant les différentes étapes de sa détention. Ces sources provenant des organismes pakistanais tant militaires que civils ont confirmé la « véracité globale » des propos d'Ahmed, y compris son allégation selon laquelle les services de renseignements britanniques étaient « à tout moment » au courant de sa détention et des traitements qui lui étaient infligés.
Originaire du district londonien d'Hounslow, Zeeshan Siddiqui a été arrêté au Pakistan le 15 mai 2005 après avoir été soupçonné de participation au terrorisme. Il a été expulsé vers le Royaume-Uni le 8 janvier 2006. Siddiqui a raconté que pendant sa détention, il a été battu à maintes reprises et enchaîné ; selon son témoignage, il a également reçu des injections de drogues et subi des menaces de sévices sexuels ainsi que d'autres formes de torture.
S'exprimant sous le couvert de l'anonymat, des responsables pakistanais de la sécurité ont confirmé à Human Rights Watch que Siddiqui a été arrêté sur la base d'indications fournies par les services de renseignements britanniques et à la demande de ces derniers. Les sources pakistanaises ont ajouté que les agents de renseignements britanniques étaient en permanence informés des « traitements » infligés à Siddiqui selon la « méthode traditionnelle » et que les agents britanniques avaient « effectivement » interrogé Siddiqui pendant qu'il était « traité » par le Bureau pakistanais des renseignements.
« Le feu vert pour le traduire en [justice] a été probablement donné après avoir tenté sans succès d'apporter des preuves des accusations portées contre lui ou de lui faire admettre des aveux utiles », a précisé la source.
Originaire d'Edgare, Amin Salahuddin a quant à lui été condamné en avril 2007 dans le procès de l'opération « Crevice » pour avoir planifié des attentats contre plusieurs cibles potentielles, dont la boîte de nuit Ministry of Sound à Londres. Il s'est rendu volontairement aux autorités pakistanaises après que sa famille eut reçu des assurances qu'il ne serait pas maltraité. Il a été toutefois torturé à plusieurs reprises en 2004 et forcé à faire de faux aveux.
Amin Salahuddin affirme avoir rencontré des agents de renseignements britanniques pratiquement une dizaine de fois pendant sa détention. Il a été libéré par les autorités pakistanaises après 10 mois de détention illégale, puis arrêté à son arrivée à l'aéroport de Heathrow en 2005.
Des sources au sein des services de renseignements pakistanais ont affirmé que les déclarations d'Amin Salahuddin sur sa détention et ses rencontres avec les agents des renseignements britanniques et américains étaient « en substance exactes » et confié à Human Rights Watch qu'Amin Salahuddin était un cas « à forte pression » où la « soif » de renseignements exhibée par les agents britanniques et américains était « insatiable ». Toujours selon ces mêmes sources, les agents britanniques et américains qui étaient « au courant » de la détention d'Amin Salahuddin « savaient pertinemment que nous utilisions tous les moyens possibles pour lui extorquer des renseignements et ils nous étaient reconnaissants pour cela ».
« Le fléau du terrorisme ne justifie pas la participation à des actes de torture ou l'utilisation de renseignements obtenus par la torture », a souligné M. Hasan. « Tant qu'une enquête indépendante ne sera pas ouverte et aussi tant que les auteurs des exactions n'auront pas répondu de leurs actes, la réputation de la Grande-Bretagne en tant que nation respectueuse des droits humains restera ternie. »
Les ministères britanniques de l'Intérieur et des Affaires étrangères ont apporté de vagues démentis aux accusations de complicité de torture, sans toutefois répondre aux allégations précises faites par Human Rights Watch, le quotidien britannique The Guardian et les avocats des victimes de torture.
En outre, le gouvernement britannique n'a pas répondu adéquatement aux conclusions et aux recommandations du Comité parlementaire conjoint des droits humains (« Joint Committee on Human Rights », ou JCHR) qui a demandé l'ouverture d'une enquête judiciaire indépendante, ainsi que de la Commission des affaires étrangères.
« Le gouvernement britannique pratique la politique de l'obstruction à l'égard du parlement, des victimes et du public en refusant de répondre aux questions sur ses manoeuvres au Pakistan », a déploré M. Hasan. « Le gouvernement devrait diligenter une enquête judiciaire indépendante et adopter des mesures pour mettre fin à toute complicité dans des actes de torture. »
« Les services de renseignements et la police britanniques ont agi de connivence avec les autorités pakistanaises, et ont fermé les yeux sur la torture au Pakistan de personnes soupçonnées de terrorisme.»

Ali Dayan Hasan, chercheur senior sur l'Asie du Sud à Human Rights Watch
Novembre 24, 2009 / Human Rights Watch
25.11.09 19:14
http://basta.20six.fr/basta/art/172582923

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