dimanche, juillet 29, 2007

Recherché pour crimes contre l’état

Durant plusieurs années, Azmi Bishara était l'une des voix les plus importantes représentant les 1,5 millions d'Arabes vivant en Israël. Mais maintenant il est un fugitif, affrontant quelques unes des plus sérieuses allégations jamais faites contre un député israélien. Qu'est ce qui s'est passé ? Dans une rare interview, il parle à Rory McCarthy.
Interview Azmi Bishara - The Guardian / 29 juillet 2007 / Info-palestine
Quand la guerre a éclaté au Liban l'été dernier, il y a eu peu de voix dissidentes en Israël. Des sondages publics montraient un soutien public sans précédent au conflit. Des politiques et des experts remplissaient les studios de télévision pour argumenter qu'Israël se battait pour sa survie dans sa guerre pour supprimer le Hezbollah.
Mais un député israélien voyait les choses différemment. Il a écrit que le Hezbollah était un mouvement de résistance se battant dans une guerre menée par un gouvernement israélien dirigé par « des médiocres, des lâches et des opportunistes » qui étaient responsables d'un « vandalisme barbare et du ciblage délibéré des civils ».
Après une dizaine d'années comme député dans le Knesset, Azmi Bishara, politicien, auteur et académicien, s'était forgé une réputation du personnage politique le plus critique émergeant de la minorité arabe d'Israël. Peu après la fin de guerre, Bishara et une poignée de députés de son parti politique « Balad » ont voyagé en Syrie et au Liban, tous les deux des « états ennemis », où il a continué à dénoncer son gouvernement. Il n'avait pas à attendre longtemps pour une réaction : en septembre, le procureur général israélien demanda à la police de commencer une enquête criminelle.
Ce n'était pas la première enquête dans les activités de Bishara ; il n'était donc pas surpris quand six mois plus tard il était convoqué au commissariat de police de Petah Tikya, proche de Tel Aviv, pour un interrogatoire. Par deux fois il a rencontré deux officiers de police, et puis il est parti pour, ce qu'il insiste à dire, une tournée de conférences prévue à l'avance en Jordanie.
C'était seulement après son départ que les enquêteurs ont laissé passer des détails de l'affaire dans la presse israélienne. Bien que Bishara n'ait pas été inculpé, il s'est avéré qu'il était sous enquête pour blanchissage d'argent, contact avec un agent étranger, fourniture d'informations à l'ennemi et, plus sérieusement, assistance à l'ennemi durant la guerre - une charge qui peut être sanctionnée par la peine de mort.
Ce sont quelques unes des plus sérieuses allégations jamais portées contre un député israélien et qui signifient effectivement que Bishara doit soit rester en exil à l'étranger soit rentrer pour affronter la perspective d'une condamnation à une longue peine de prison, voire pire. Mais Bishara est aussi le plus important défenseur des droits politiques des Arabes en Israël et les investigations ont montré un clivage grandissant dans la société israélienne entre la majorité juive et la minorité palestinienne de 20%.
Bishara n'est pas retourné chez lui. En avril il a remis sa démission de la Knesset à l'ambassade israélienne au Caire. Maintenant il vit avec son épouse et leurs deux enfants dans un appartement d'un ami à Amman en Jordanie.
« L'action symbolique de me faire venir au procès et de me condamner - ils le cherchent. Je sais qu'ils le cherchent, » dit-il dans une rare interview au Guardian. « Je ne vais pas les laisser faire ; je suis toujours deux pas en avance. » Il s'assoit dans le sofa, vêtu d'un tee-shirt et d'un pantalon chinos avec son téléphone mobile posé sur une table à café. Sur un bureau derrière lui, il y a un PC portable et le brouillon d'un nouveau livre qu'il est en train d'écrire sur la démocratie dans le monde arabe.
Bishara dément l'accusation qu'on lui fait et argumente que la vraie raison de l'enquête n'est pas ses actions durant la guerre contre le Liban mais c'est son appel tenu de longue date et largement diffusé pour un changement fondamental dans la nature de l'état israélien : c'est sa croyance que le pays ne doit plus être un état juif mais doit protéger les droits des Arabes et devenir un « état pour tous ces citoyens ».
« Ils veulent condamner toute mon idéologie politique et la présenter comme une simple couverture pour un autre type d'activité qui n'existe pas », dit-il.
En mars, le journal très populaire Yedioth Ahronoth a publié une histoire rapportant que suite à des mises sous écoute téléphonique effectuées par le Shin Bet, les services de renseignements israéliens, on a enregistré des conversations de Bishara durant la guerre. L'histoire a dit qu'il avait parlé à des « contacts du Hezbollah » et les avait dirigés vers des « cibles optimales pour leurs missiles ». Le journal a aussi affirmé qu'il avait obtenu des « centaines de milliers de dollars en liquide » via des agents de change à Jérusalem Est, en utilisant des mots de code comme « livre » qui voulait dire 50000 dollars selon le journal, « anglais » qui voulait dire dollars, et « hébreu » qui voulait dire shekels.
Le journal a rapporté que « les enquêteurs avaient déclaré qu'ils savaient que Bishara utilisait des mots de code parce qu'il soupçonnait qu'il était mis sous écoute ; ils avaient dit qu'ils avaient éclaté de rire quand Bishara avait placé un ordre pour un 'demi livre en anglais', voulant dire 25000 dollars ».
Bishara insiste que les allégations sont fausses ; il dit qu'il n'a parlé à personne du Hezbollah durant la guerre. « Est-il vrai que j'étais au téléphone ? Oui, et les gens écoutaient. Mais parlais-je au Hezbollah ? La réponse est non ». Il a effectivement parlé à des politiciens et des journalistes en Syrie et au Liban, mais il dit qu'il n'avait pas d'informations secrètes à leur fournir. « Nous n'avons pas ce genre d'informations à passer à personne, » ajoute-t-il. « Qu'est ce que je pouvais dire qui n'était pas dans les médias ? C'est incroyable. Ce n'est pas sérieux du tout ».
Les allégations sur le blanchissage d'argent, il dit, sont des « sottises », et quand il a utilisé le mot « livre » dans ses conversations téléphoniques avec un agent de change, il dit qu'il parlait à propos des livres qu'ils s'étaient prêtés l'un à l'autre. « C'était à propos de livres, vraiment à propos de livres. Il continuait à me prendre des livres et à m'en donner. C'est un vrai collectionneur de livres. Il lit. Mais c'est tout », explique-t-il. « C'est toute une affaire de tourner une activité politique, idéologique et intellectuelle en une suspicion sécuritaire ».
Bishara est un catholique roman et un gauchiste, né dans une famille de classe moyenne à Nazareth. Son père était un inspecteur de santé, un syndicaliste et un moment communiste ; sa mère était une enseignante. Durant la guerre de 1948 quand des centaines de milliers de Palestiniens avaient fui ou étaient forcés de quitter leurs maisons, la famille de Bishara était restée dans le pays qui est devenu Israël.
Bishara a étudié aux universités hébraïque et de Haïfa, et ses relations avec le parti communiste lui ont offert la possibilité de réaliser un doctorat en Philosophie à l'université de Humboldt à Berlin-est dans les années 80. Comme la plupart des Arabes en Israël, il rejette les définitions de l' establishment et décrit sa nationalité comme simplement un Palestinien arabe.
Né dans une ville israélienne huit ans après la création de l'état d'Israël, il porte la nationalité israélienne, ce qui fait de lui un membre de la minorité arabe de 20% du pays et lui donne le droit à voter et de se présenter aux élections parlementaires. Il peut remonter dans son arbre généalogique à des centaines d'années à un village au nord de Nazareth, dans ce qui est aujourd'hui le nord d'Israël.
Avant sa démission, son parti politique « Balad » avait quatre sièges au Knesset dans un pays où beaucoup d'Arabes israéliens ont tendance à voter pour les partis politiques les plus importants, notamment le parti travailliste - actuellement participant à la coalition gouvernemental.
Même Bishara reconnaît qu'il n'y a pas de large soutien populaire pour ses idées parmi sa propre communauté. Un sondage d'opinion en début de cette année a montré que les trois-quarts des Arabes israéliens soutiendraient une constitution décrivant Israël comme un état juif et démocratique.
Cependant, dans les derniers mois, cela a commencé à changer. Tout d'abord, le racisme contre les Arabes en Israël augmente selon au moins un récent sondage. Dans une enquête pour le Centre Contre le Racisme, un sondage parmi les Juifs israéliens a trouvé que plus que la moitié croyait que c'est une trahison pour une femme juive de se marier avec un homme arabe ; 40% disaient que les Arabes ne devraient plus avoir le droit de voter dans les élections parlementaires ; et 75% s'opposaient à ce que les immeubles d'habitation soient partagés entre Juifs et Arabes.
En même temps, de plus en plus d'Arabes israéliens importants adoptent des idées similaires à Bishara et proposent ce qui est un défi fondamental à la nature juive de l'état. Quatre documents séparés ont émergé depuis décembre, chacun présentant un cas similaire.
Adalah, un groupe pour les droits de l'homme (Adalah, 'Justice' en Arabe, est un groupe palestinien basé en Israël pour la défense des droits la minorité arabe en Israël, ndt.), a publié une version préliminaire de constitution qui stipulait qu'Israël devrait être défini non pas comme un état juif mais comme un « état démocratique, bilingue et multiculturel. » Il appelle à mettre une fin à la Loi du Retour, qui donne la nationalité automatiquement à toute personne avec au moins un grand-parent juif, et il appelle Israël à « reconnaître ses responsabilités pour les injustices passées subies par le peuple palestinien ».
Puis, plutôt ce mois, dans une remarquable interview avec le journal Haaretz, Avraham Brug, un précédent porte-parole juif du Knesset et précédent Président de l'Agence Juive, a exprimé sa propre dénonciation de la structure d'Israël. « Cela ne peut plus marcher, » il a déclaré. « Définir l'état d'Israël comme un état juif est la clé pour sa fin. Un état juif est explosif. C'est de la dynamite. » Burg a aussi appelé pour un changement de la Loi du Retour et était très critique vis-à-vis de ce qu'il appelait le « Sionisme conflictuel » d'Israël.
Pour Bishara, de tels commentaires ne font que renforcer Ces idées qui sont les siennes de longue date. « Tout est commenté comme s'il y avait un éléphant dans la chambre et que personne ne voulait en parler : il s'agit d'un état pour tous ces citoyens », dit-il. « Mais l'idée a progressé. Cette idée maintenant est le vrai rival de l'état sioniste. C'est la première fois qu'on a un vrai défi ».
La Loi du retour, argumente-t-il, est un problème fondamental, comme l'est l'idée d'un état à la fois juif et démocratique. « Le problème avec cet état est qu'il ne peut garantir l'égalité. Il ne établir de séparation entre la religion et l'état et il aura toujours une mission idéologique qui l'empêchera de s'intégrer dans la région ou de servir ses citoyens ». Il décrit Israël comme une « démocratie coloniale ».
« Cette relation fondamentale entre un état et ces citoyens devrait être la citoyenneté, non pas l'affiliation ethnique ou religieuse », dit-il. « Qui est un citoyen en Israël ? Est-ce que mon cousin au Liban qui a quitté le pays en 1948 est autorisé à retourner ou pas ? C'est basique. Mais quelqu'un qui peut prouver que sa mère est juive, de Brooklyn - il peut venir ».
Cependant, la réalité est qu'il y a peu de chance pour que l'une de ces idées devienne une loi dans le proche avenir. Israël n'a pas de constitution et, bien qu'il y ait fréquemment des publications sur ce à quoi pourrait ressembler une version préliminaire, il demeure de grandes différences sur d'autres sujets au-delà des relations juives-arabes, notamment la lourde question sur la relation entre les Juifs religieux et laïcs.
Il y a eu une sévère réaction à ce défi idéologique. Yuval Diskin, le chef du Shin Bet, a été cité plutôt cette année comme mettant en garde qu'une radicalisation de la minorité arabe israélienne était une « menace stratégique à l'existence de l'état ». En mars, un député de la droite a proposé un projet de loi à la Knesset qui demanderait dans l'avenir à tous les députés de prêter serment de loyauté à Israël comme état juif et à son hymne national et son drapeau.
« Nous devons tout faire pour conserver Israël comme un état juif », a déclaré Arnon Soffer, chef du département de Géostratégie à l'université de Haïfa et principal défenseur de l'idée que les Arabes israéliens et les Palestiniens constituent une « menace démographique » pour les Juifs. « Il est clair pour moi que devenir une minorité dans cette région est la fin du peuple juif, du rêve juif, de l'état juif », a-t-il déclaré. « Ils utilisent des mots comme 'démocratie', mais s'ils sont au pouvoir, c'est la fin de la démocratie. Nous devons arrêter d'être des naïfs ».
Bishara n'accorde pas de considération à ceux qui prétendent que les Arabes ont déjà suffisamment de droits en Israël - notamment la citoyenneté, le droit de vote et le droit de s'exprimer librement. Ce ne sont que des concessions, dit-il. « Vous avez pris la terre et m'avez donné la liberté de parole ». « Qui gagne ici ? Révisons l'accord. Prenez votre liberté de parole et rendez-moi la Palestine. Qu'en pensez-vous ? »
Plus longtemps durera le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens , explique-t-il, plus les Arabes israéliens et les Palestiniens dans les territoires occupés vont se rapprocher et l'argument pour un seul état binational deviendra plus fort, un argument qu'il privilégie clairement.
« Si cela continue comme maintenant, à la fin les questions des Arabes en Israël et des Palestiniens en Cisjordanie et dans Gaza vont fusionner », argumente-t-il. « Binational signifie que les Arabes devraient aussi reconnaître que les Juifs sont une nationalité. Cela ne veut pas dire la destruction de l'état. Cela veut dire que deux entités politiques devront vivre ensemble. C'est un grand compromis ».

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