Bush était tout réjoui d’avoir Lula à sa droite au dîner de vendredi. Hu Jintao, qu’il respecte du fait de l’immense marché que représente son pays, de sa capacité à produire des biens de consommation bon marché et de l’ampleur de ses réserves en dollars et en bons du trésor étasuniens, il l’avait assis à sa gauche.
Par Fidel CASTRO / 22 novembre 2008 / Altermonde-levillage
Medvedev, qu’il offense par sa menace d’installer des radars et des missiles stratégiques nucléaires non loin de Moscou, avait été installé à bonne distance de l’hôte de la Maison-Blanche.
Le roi d’Arabie saoudite, un pays qui produira dans un avenir proche quinze millions de tonne de pétrole léger à des prix hautement compétitifs, était aussi à sa gauche, à côté de Hu.
Son plus fidèle allié en Europe, Gordon Brown, le Premier ministre britannique, n’apparaissait pas près de lui sur les images de la télévision.
Nicolas Sarkozy, mécontent de l’architecture actuelle de l’ordre financier, était loin, le visage amer.
Quant au président du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero Rodríguez, en butte au ressentiment personnel de Bush, je ne l’ai même pas vu sur les images télévisées du dîner, bien qu’il ait assisté à la réunion…
Voilà donc quel a été le plan de table du banquet.
N’importe qui aurait pensé qu’un débat de fond interviendrait le lendemain sur le thème épineux.
Les agences de presse ont informé très tôt le samedi matin du programme qui se déroulerait au National Building Museum de Washington. Chaque seconde était programmée. L’analyse de la crise actuelle et des mesures à prendre devait démarrer à 11 h 30. Mais d’abord, la séance photo, « les photos de famille », selon Bush. Vingt minutes après, la première séance plénière, suivie d’une seconde à la mi-journée. Le tout, rigoureusement programmé, jusqu’aux nobles services sanitaires.
Les discours et analyses devaient durer à peu près trois heures et demie. A 15 h 25, déjeuner. Aussitôt, à 17 h 05, la Déclaration finale. Une heure après, à 18 h 05, Bush partirait se reposer, dîner et dormir paisiblement à Camp David.
Ceux qui suivaient la réunion étaient anxieux de savoir comment celle-ci aborderait en si peu de temps les problèmes de la planète et de notre espèce humaine. On annonçait une Déclaration finale du Sommet.
Le fait est que celle-ci a été mise au point par des conseillers économiques choisis d’avance, avec pas mal d’affinités avec la pensée néolibérale, tandis que Bush réclamait dans ses déclarations d’avant et d’après le Sommet plus de pouvoir et plus d’argent pour le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d’autres institutions mondiales placées sous le contrôle rigoureux des Etats-Unis et de leurs plus proches alliés. Ce pays avait décidé d’injecter sept cent millions de dollars pour sauver ses banques et ses sociétés transnationales. L’Europe avait offert une somme semblable ou supérieure. Le Japon, son plus solide pilier en Asie, avait promis de fournir cent milliards de dollars. Et tous attendaient de la République populaire de Chine, qui développe des liens commerciaux utiles toujours croissants avec les pays latino-américains, une contribution de cent milliards provenant de ses réserves.
D’où sortiront tant de dollars, d’euros et de livres sterling si ce n’est au prix d’un grave endettement des nouvelles générations ? Comment peut-on bâtir l’édifice de l’économie mondiale sur du papier-monnaie, car c’est cela qu’on met pour l’instant en circulation, alors que le pays qui l’imprime souffre un énorme déficit fiscal ? Vaudrait-il donc la peine de voyager de si loin vers un point de la planète nommé Washington pour se réunir avec un président auquel il ne reste plus que soixante jours de mandat et souscrire un document dont l’approbation avait été conçue d’avance au Washington Museum ? La presse, la radio et la télévision des Etats-Unis aurait-elle eu donc raison de ne faire guère cas de cette manigance impérialiste éculée au fameux Sommet ?
La Déclaration finale, adoptée par consensus, est proprement incroyable. Elle constitue de toute évidence l’acceptation totale des exigences posées par Bush avant et pendant le Sommet. Plusieurs des pays participants n’avaient pas d’autres remèdes que de l’approuver ; dans leur lutte désespérée pour le développement, ils ne souhaitaient pas se couper des plus riches et des plus puissants, ainsi que de leurs institutions financières, qui constituent la majorité au Groupe des Vingt.
Bush était euphorique ; recourant à des mots démagogiques, il a lu des phrases qui peignent parfaitement la Déclaration finale :
La première décision que j’aie eue à prendre, c’est savoir quels sont ceux qui viendraient à la réunion. J’ai décidé que nous devions avoir les nations du Groupe des Vingt, au lieu de seulement le Groupe des Huit et le Groupe des Treize. Mais, une fois prise la décision d’avoir le Groupe des Vingt, la question fondamentale était de savoir combien de nations des six continents, qui représentent des étapes de développement économique différentes, il fallait avoir pour atteindre des accords de fond, et je suis heureux de vous faire savoir que nous y sommes arrivés. Les États-Unis ont pris certaines mesures extraordinaires. Vous qui avez suivi ma carrière, vous savez que je suis un partisan du libre-échange, mais si on ne prend pas des mesures décisives, il se peut que notre pays plonge dans une dépression plus terrible que la grande dépression. Nous avons commencé à travailler avec le fonds de sept cent milliards de dollars qui a commencé à libérer de l’argent pour les banques. Nous saisissons donc tous qu’il faut promouvoir des politiques économiques en faveur de la croissance. La transparence est très importante pour que les investisseurs et les régulateurs puissent savoir exactement ce qu’il se passe.
Tout le reste des affirmations de Bush est à l’avenant.
La Déclaration finale du Sommet, dont la lecture en public prend une demi-heure, se définit elle-même dans quelques paragraphes choisis :
Nous, dirigeants du Groupe des Vingt, nous avons eu une réunion initiale à Washington, le 15 novembre, sur un fond de sérieux défis pour l’économie et les marchés financiers mondiaux. …Nous devons jeter les bases d’une réforme qui nous aidera à nous assurer qu’une crise mondiale comme celle-ci ne se reproduira plus. Notre travail sera guidé par les principes du marché, des économies ouvertes et les régimes des investissements… Les acteurs du marché ont cherché des rentabilités plus élevées sans évaluer dûment les risques et ils ont échoué… Les autorités, les régulateurs et les superviseurs de certains pays développés n’ont pas saisi ni envisagé dûment les risques qui se créaient sur les marchés financiers… …des politiques micro-économiques insuffisantes et mal coordonnées, et des reformes structurelles inadéquates ont conduit à un résultat macro-économique global insoutenable. De nombreuses économies émergentes qui ont contribué à soutenir l’économie mondiale souffrent toujours plus les retombées du ralentissement mondial. Nous soulignons le rôle important du FMI dans la réponse à la crise, nous nous félicitons du nouveau mécanisme de liquidités à court terme et nous invitons instamment à ce que ses instruments soient constamment révisés pour assurer leur souplesse. Nous encouragerons la Banque mondiale et d’autres banques de développement multilatérales à soutenir à fond leur agenda d’aide… Nous garantirons que le FMI, la Banque mondiale et les autres banques de développement multilatérales auront les ressources suffisantes pour continuer de jouer leur rôle dans le dénouement de la crise. Nous exercerons une forte surveillance sur les agences de crédit, en développant un code de conduite international. Nous nous engageons à protéger l’intégrité des marchés financiers du monde, en renforçant la protection de l’investisseur et du consommateur. Nous nous engageons à poursuivre la réforme des institutions de Bretton Woods de sorte qu’elles puissent refléter les changements dans l’économie mondiale et accroître leur légitimité et leur efficacité. Nous nous réunirons de nouveau le 30 avril 2009 pour réviser la mise en œuvre des principes et des décisions adoptées aujourd’hui. Nous admettons que ces réformes n’auront de succès que si elles se fondent sur un engagement envers les principes du libre-marché, dont la primauté du droit, le respect de la propriété privée, l’investissement et le libre-échange, des marchés compétitifs et efficaces, et des systèmes financiers dûment régulés. Nous nous abstiendrons d’imposer des obstacles à l’investissement et au commerce de biens et services. Nous sommes conscients de l’impact de la crise actuelle sur les pays en développement, surtout les plus vulnérables. Tout en avançant, nous sommes sûrs que, par la collaboration, la coopération et le multilatéralisme, nous surmonterons les défis qui nous attendent et que nous parviendrons à rétablir la stabilité et la prospérité dans l’économie mondiale.
Langage technocratique, inaccessible aux masses.
Hommage à l’Empire qui n’essuie pas la moindre critique pour ses méthodes abusives.
Louanges au FMI, à la Banque mondiale et aux organisations de crédit multilatérales, qui ont engendré des dettes, des dépenses bureaucratiques fabuleuses et des investissements visant à fournir des matières premières aux grandes transnationales, lesquels sont en plus responsables de la crise.
Et ainsi à l’avenant, jusqu’au dernier paragraphe. Elle est ennuyeuse, bourrée de lieux communs. Elle ne dit absolument rien. Elle a été souscrite par Bush, champion de néolibéralisme, responsable de massacres et de guerres génocidaires, qui a investi dans ses aventures sanguinaires tout l’argent qui aurait suffi à changer la face économique du monde.
Le document ne dit pas un mot de l’absurdité de la politique consistant à convertir les aliments en carburants que prônent les Etats-Unis, de l’échange inégal dont nous sommes victimes, nous les peuples du Tiers-monde, ni de la course aux armements stérile, de la production et du commerce des armes, de la rupture de l’équilibre écologique et des gravissimes menaces à la paix qui mettent le monde à deux doigts de l’extermination.
Seule une petite phrase perdue au milieu du long document parle de la nécessité de « faire face aux changements climatiques », juste cinq mots.
Dans leur Déclaration, les pays participants ont demandé à se retrouver en avril 2009 au Royaume-Uni, au Japon ou dans n’importe quel pays réunissant les conditions suffisantes – nul ne sait lequel – pour analyser la situation des finances mondiales, en rêvant que les crises cycliques avec leurs dramatiques conséquences ne se répètent jamais plus.
Il incombe maintenant aux théoriciens de gauche et de droite de se prononcer, la tête froide ou le cerveau échauffé, sur le document.
A mon avis, les privilèges de l’Empire n’ont même pas été effleurés. Quiconque a assez de patience pour lire la Déclaration de bout en bout se rendra compte qu’il ne s’agit que d’un pieux appel lancé au pays le plus puissant de la planète, sur les plans technologique et militaire, à une étape de mondialisation de l’économie, pour qu’il fasse preuve d’éthique… C’est un peu comme si on priait le Grand Méchant Loup de ne pas dévorer le Petit Chaperon rouge !
G20-Quand-la-montagne-accouche-d-une-souris
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