vendredi, avril 14, 2006

Le roi contre l'Etat ?

Dans le premier cas, il s'agit d'une reconnaissance tacite d'un dysfonctionnement structurel de l'appareil judiciaire. Dans le deuxième, on permet aux institutions de l'Etat de perpétuer les comportements d'antan alors qu'on lance l'IER. Dans les deux cas, la monarchie prétend corriger le fonctionnement d'un Etat qu'elle ne se résout pas à réformer.


Le cas représente la caricature par excellence des rapports entre la monarchie et la justice, sa justice. La fille d'un ex-haut dignitaire fidèle du régime écrase un agent de police, en l'occurrence, une femme. L'accident ne semble pas être « accidentel ». Ce serait volontairement que la gente dame a foncé sur la pauvre fonctionnaire de police. Cette dernière porte plainte. Nouvellement nommé à la tête de la Direction Générale de la Sûreté Nationale, Hamidou Laânigri en fait une affaire d'honneur.
Fille de dignitaire ou pas, elle doit être jugée pour son délit. Surtout qu'à la clé, celui qui a présidé aux arrestations en masse et aux exactions et tortures en tout genre sur la personne des suspects extrémistes de l'après 16 mai, a besoin de rallier les troupes. L'occasion est en or. Et puis n'est-ce pas la nouvelle ère ? Une ère où personne n'est censé être au-dessus de la loi. Sauf qu'une fille d'un fidèle de la monarchie reste la fille d'un fidèle de la monarchie. Trouvée coupable par une justice qui aurait beaucoup de mal à faire autrement, la « chauffarde » est jugée en appel une semaine seulement après sa condamnation en première instance, record absolu de célérité de la justice. Et puis surtout, recondamnée en appel, elle obtient la grâce royale…. deux jours après son procès. Du jamais vu dans les annales judiciaires. Cet épisode à tout de la pièce de théâtre. Le patron de la police qui protége ses troupes, la justice qui fait son travail et la monarchie miséricordieuse qui gracie. Sauf qu'en réalité c'est bien l'intérêt général qui en prend un sacré coup. Car dans cette affaire, les intérêts du régime sont saufs, alors que ceux de la société sont foulés du pied. L'Etat n'a pas rempli sa mission. Il a servi de décor en carton-pâte à la préservation d'intérêts autres que ceux de la collectivité.
Le phénomène est antérieur au règne de Mohammed VI. La monarchie de Hassan II a utilisé, et de façon encore plus flagrante, les institutions de l'Etat comme outil de consolidation de son pouvoir. Elle s'en cachait à peine. On se rappelle encore du « Je peux nommer mon chauffeur ministre si je veux », lancé par Hassan II au début des années 70. Dans un autre registre, on se rappellera aussi Hassan II en père de la Nation soucieux du bien-être des Marocains défavorisés, fustiger son gouvernement au lendemain d'une augmentation du prix de certains produits alimentaires de base. Il va sans dire que Hassan II avait suivi de près les négociations avec le FMI et accepté d'appliquer ces mesures. Mais face au peuple, le sans cœur c'est le gouvernement.
Dans une optique de démocratisation, les effets pervers de cette stratégie deviennent bloquants. Dernier exemple en date, la grâce accordée par le souverain à des détenus sahraouis condamnés à la suite des manifestations de mai 2005. En tournée au Sahara, l'initiative du roi se voulait un geste de bonne volonté à l'égard des populations locales. Le message subliminal qu'envoie cette décision ternit davantage l'image de la justice marocaine et donc de l'Etat marocain. Si la monarchie est tellement bienveillante à l'égard de ses sujets, sahraouis en particulier, comment se fait-il qu'elle n'ait pas entrepris les réformes nécessaires pour que la justice fonctionne équitablement ? Si on considère la grâce royale comme un mécanisme de correction d'un système, la multiplication de son application dans des sujets aussi médiatisés et importants que ceux des journalistes condamnés à de la prison ferme, les condamnés de l'après 16 mai et enfin des manifestants sahraouis, signifie que le système lui-même est structurellement défectueux. En d'autres termes, si une injustice flagrante, -occurrence très probable si le système ne fonctionne pas-, n'attire pas l'attention du roi, celui qui en est la victime n'a plus de recours. Ainsi les Sahraouis, que le Maroc veut convaincre d'un projet d'autonomie dans lequel le système judiciaire restera le même, ont de quoi s'inquiéter, comme tous les Marocains d'ailleurs. La justice n'est pas seule en cause.
Alors que les promoteurs de l'Instance Equité et Réconciliation font le tour du monde pour vanter l'expérience marocaine, les cas de tortures refont la une des journaux : après les suppliciés de l'affaire du vol des ustensiles du Palais royal de Marrakech éclate l'affaire des techniciens de la RAM, sauvagement torturés par les enquêteurs. Rappelons que l'enquête est conjointement menée par deux piliers du régime, Hmidou Lâanigri et Hosni Benslimane respectivement patrons de la police et de la gendarmerie. La thèse du roi démocrate, comme l'assure Nourredine Ayouch dans une interview accordée cette semaine à l'hebdomadaire "Assahifa", en prend un sacré coup. Désavouer les services de l'Etat, et par contraste présenter la monarchie comme le garant de la liberté et de l'équité, devient intenable tant les contradictions sont nombreuses. L'adhésion au discours d'une monarchie vecteur de démocratie bute sur la réalité incontournable de l'exercice du pouvoir. Car si le roi gracie des victimes, il ne permet pas aux mécanismes de la loi de punir les fauteurs. Serviteurs du trône, leur immunité est assurée. Or combien d'exactions commettent-ils sans que cela se sache ? Quand la monarchie décide de ne pas permettre à la Cour des comptes d'instruire deux affaires impliquant Mohammed Benaïssa, l'une relative à sa gestion du ministère de la Culture et l'autre concernant la gestion de la municipalité d'Asilah, le laissant ainsi multiplier les déconvenues diplomatiques à la tête du ministère des Affaires étrangères, elle fait passer la loyauté de serviteurs zélés devant l'intérêt général. Ce comportement est l'antinomie de l'Etat de droit. Le fait du prince se substitue à la règle. Puisque l'Etat ne fonctionne pas au bénéfice des citoyens, la monarchie vient substituer ses décisions à celles d'une règle fatalement mauvaise puisqu'elle gouverne l'Etat. Après avoir été torturés au commissariat de Marrakech, les anciens employés du Palais royal accusés de vol n'ont pas demandé l'application de la loi contre leurs tortionnaires. Ils ont demandé l'intervention du roi pour les rétablir dans leurs droits et leur rendre justice. Est-ce vraiment la meilleure façon de construire une démocratie ?

Par Aboubakr Jamaï & Taëb Chadi
lejournal-hebdo.com

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