mardi, janvier 16, 2007

Afrique de l'Est: La Corne de l'Afrique, laboratoire de nouvelles interventions

De Kaboul et Baghdad à Mogadiscio
Si 1991, année de la chute du mur de Berlin, a marqué une date noire dans l'histoire de la Somalie post-indépendance, frappée par l'effondrement de son Etat, 2007 restera-t-elle comme un moment clé dans les projets américains de déstabilisation et promotion d'acteurs et d'organisation au service d'intérêts impériaux exclusifs ?
La Tribune (Algiers)
ANALYSE/Publié sur le web le 16 Janvier 2007
Chabha Bouslimani/De Kaboul et Baghdad à Mogadiscio
http://fr.allafrica.com/
L'intervention militaire de l'Ethiopie, membre fondateur de l'OUA, au titre de sous-traitant de l'administration du président Bush, qui avait échoué en Irak à faire jouer ce rôle aux troupes arabes, confirme la stratégie menée par Bill Clinton en Afrique, dans le cadre d'options majeures en faveur d'un ordre bilatéral asymétrique, d'un multilatéralisme sélectif, et du primat de la géostratégie sur la construction de la sécurité collective. Si, en Irak, les armes de destruction massive ont été invoquées, en Somalie, nouveau laboratoire du fédéralisme, et de la décentralisation à l'instar des accords concoctés au Soudan, la lutte antiterroriste pourrait bien être le prétexte à des ambitions de contrôle.
La présence du gaz et du pétrole, l'importance d'une façade maritime au débouché de la mer Rouge et du canal de Suez, sur l'océan Indien, font de la Somalie une position stratégique dans la concurrence à venir de la Chine et de l'Inde, outre le bouclage du golfe Persique et du Moyen-Orient. Après la Somalie, le Soudan ?
«Contrôler le débouché de la mer Rouge et du canal de Suez, surveiller les détroits malaisiens et indonésiens reliant l'océan Indien au Pacifique ainsi que la route maritime du Cap, intervenir -si nécessaire- en Afrique orientale», les ambitions américaines dépassent de loin le strict théâtre d'intervention en Somalie : un pays où l'effondrement de l'Etat national dès 1991 autorisera toutes les aventures.
Car, pourquoi la Somalie, ce pays affaibli, déchiré, sinon son importance stratégique et sa vulnérabilité interne sur une Corne de l'Afrique qui, dès la fin de la guerre froide et, au lendemain de la 1re guerre contre l'Irak, avait déjà fait l'objet d'une expédition militaire dite Restore Hope, cachant mal les velléités hégémoniques de redéploiement de la superpuissance unique ?
C'est dans la foulée, en effet, de la guerre contre l'Irak, que le Soudan et la Somalie firent les frais de la fin de la guerre Est-Ouest supposée ouvrir une ère de paix et de sécurité internationale, un «ordre mondial nouveau» fondé sur la sécurité collective et le multilatéralisme. Dans les faits, la paix au Nord et l'insécurité, la multiplication de conflits de basse intensité au Sud.

Premières victimes, outre une Yougoslavie réduite à des entités ethnoconfessionnelles, le monde arabo-musulman et le continent africain dont l'un des piliers, en l'occurrence le Congo, implosera. Le leitmotiv était alors la lutte pour la démocratie, le marché à grand renfort d'injonctions de la Banque mondiale et du FMI. Une décennie plus tard, qu'est-ce qui a changé ? Au lieu et place d'une ONU, pilier de la sécurité internationale, le retour à un ordre inter-étatique, asymétrique, la casse des organisations régionales et regroupements régionaux au profit d'un multilatéralisme sélectif privilégiant, comme le préconisent les faucons américains, les intérêts exclusifs des Etats-Unis et de leur monopole de puissance, s'opposant à tout rival et concurrent, toute puissance régionale.
Le 11 septembre marque, bien sûr, une étape essentielle dans le renforcement d'une politique qui, désormais, assimile toute résistance d'Etats récalcitrants ou de mouvements sociaux et politiques à du terrorisme ; la lutte contre le terrorisme servant de prétexte à des objectifs dont la finalité n'est ni plus ni moins que le contrôle de régions, de routes commerciales, le verrou d'espaces. L'islam érigé en ennemi stratégique, au lendemain de la chute du communisme, complète le dispositif qui ouvre la voie à la guerre contre l'Afghanistan et la mise en place sous le couvert de l'ONU d'une autorité acquise aux impératifs de l'empire.
Ce que l'OTAN devait accomplir en Afghanistan, l'UA le remplira-t-elle aujourd'hui et demain en Afrique ? Telle est l'une des questions que soulève une fois de plus la position adoptée par un Conseil de sécurité frileux à l'égard d'une intervention éthiopienne et des frappes américaines en Somalie. Au motif du danger des Tribunaux islamiques en Somalie, le pays à la veille d'une reprise en main et d'une reconstruction non conforme aux desseins d'une administration américaine peu émue par l'installation d'ayatollahs obscurantistes à Baghdad, soutient ouvertement un gouvernement provisoire docile, incapable de défaire des Lordwars qui ont ruiné la Somalie durant 10 ans. Le soutien au régime d'Addis-Abeba, dont les pratiques antidémocratiques auraient valu à d'autres régimes des sanctions, contredit la rhétorique de liberté promise aux peuples arabes et musulmans.
De l'Irak à la Palestine occupée et au Liban. En se faisant le supplétif non déguisé, l'Ethiopie met à mal l'Union africaine dont la charte repose sur un pacte de non-agression de ses voisins, et sur les objectifs fondamentaux du panafricanisme pour lesquels elle s'était constituée en héraut. Pas question d'engagement terrestre de troupes américaines en Afrique ; cela, Bill Clinton l'avait déjà affirmé en dessinant le contour des futures forces locales appelées à intervenir directement dans les conflits africains : l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Ouganda, le Kenya, l'Egypte.
Le 4 septembre 2006, le gouvernement fédéral de transition et le conseil suprême des Tribunaux islamiques avaient signé à Khartoum un accord où ils s'engageaient notamment à reconstituer l'armée nationale somalienne.
Trois mois plus tard, l'ONU, qui avait laissé peu de chances à son émissaire spécial en 1993 de conclure une paix en Somalie, souligne que «la rapide expansion des Tribunaux islamiques dans le pays constituait une menace grave pour les institutions fédérales de transition.».
La France, la Chine et la Russie réussirent à bloquer une tentative américano-britannique au Conseil de sécurité, donnant aux pays voisins à savoir l'Ethiopie, l'Ouganda et le Kenya un mandat de force de maintien de la paix en Somalie sous mandat de l'ONU.
Mais le 6 décembre, le Conseil de sécurité valide le déploiement d'une telle force. L'essentiel des 8 000 hommes prévus devrait être fourni par l'Igad (Autorité intergouvernementale pour le développement), composée du Kenya, de l'Ouganda, du Soudan, de Djibouti, de l'Ethiopie, de l'Erythrée et du TFG.
La stratégie américaine ne cherchait que son déploiement en expérimentant ses nouvelles règles. «Comme on le sait, la stratégie déployée par George W. Bush connaît des ratés importants en Irak et en Afghanistan, voire au Liban, en Syrie, en Iran. Le récent rapport [Baker-Hamilton] a relevé plusieurs défaillances, sans suggérer par ailleurs une rupture radicale avec ce qui a été fait jusqu'à présent. Pour autant, Bush est embarrassé et a besoin de relancer son projet de réingénierie du monde, à commencer par le Moyen-Orient.
Parmi les points faibles reconnus se trouve l'éparpillement [overstretch] des forces américaines et la faiblesse d'alliés [stratégiques] capables non seulement de suppléer les forces américaines mais éventuellement de jouer un rôle de leadership. Dans le cas irakien, certes, les Etats-Unis ne sont pas prêts à confier ce rôle à quiconque. Dans le cas afghan cependant, la logique est inversée et on serait bien content à Washington si les États membres de l'OTAN s'en occupaient, essentiellement. Dans ce sens, la nouvelle aventure dans la Corne de l'Afrique pourrait être un laboratoire à cette sous-contractualisation désirée», note Gérard Prunier dans le Monde diplomatique.
En février 2006, les Etats-Unis, souligne cet expert, «mettent sur pied, avec des fonds secrets de la CIA, l'Alliance pour le rétablissement de la paix et contre le terrorisme [ARPCT]. En théorie, l'ARPCT a pour but de poursuivre les terroristes d'Al Qaïda. En réalité, elle vise directement l'UTI». Les militants islamiques ne s'y trompent pas ; le 20 février, ils attaquent les premiers. Les combats marquent le début d'un processus meurtrier qui ensanglante Mogadiscio pendant trois mois et demi, jusqu'à la chute finale des [seigneurs] de l'ARPCT, le 16 juin 2006». Pour Mohammed Hassen, ancien opposant et diplomate somalien, depuis Clinton, «l'Ethiopie figure au rang des 4 pays promus forces dans la défense des intérêts américains en Afrique». Plus grave, l'armée d'Addis-Abeba a été restructurée en «forces de mercenaires». La présence de gaz et de pétrole découverts en 1986, les 3 300 km de côte face au Moyen-Orient et à l'océan Indien font de la Somalie une zone géostratégique pivot dans la lutte des Etats-Unis contre l'émergence des pôles de puissance indien et chinois.
De quoi se demander si le déploiement dans la Corne de l'Afrique, la Somalie, simple banc d'essai avant le pilonnage du Soudan et la partition de l'Ouest, n'est pas une réponse aux velléités d'un partenariat sino-africain. La création d'un nouveau commandement spécifique pour l'Afrique, basé à Djibouti, aurait en plus l'avantage de quadriller et le continent et la péninsule arabique. Un pas de plus, en conséquence, dans la déstabilisation des régimes récalcitrants avec le remodelage de la région par un redéploiement des troupes et des alliances, l'émergence de fédéralisme sur des bases ethnoconfessionnelles, la balkanisation des entités régionales.
Ce projet impérial ambitieux ne manquera pas toutefois de se heurter à la résistance des peuples et des nations qu'une longue histoire a endurcis aux terribles secousses. Et il sera difficile de faire croire à la commisération tant proclamée à l'égard, cette fois, des 10 millions de Somalis, au ventre affamé, n'ayant pas hésité en 1993 à débouter les troupes venues leur apporter le «bonheur», décidant à leur place de ce qui était «bon pour eux».
16.1.07 23:01

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