samedi, avril 07, 2007

Notre jour viendra

RAMALLAH - Mustafa Barghouti vient d’être nommé ministre de l’Information dans le nouveau gouvernement palestinien d’unité nationale. Médecin, militant des droits humains et fondateur de plusieurs organisations humanitaires en Palestine, il s’est surtout fait connaître par son franc-parler et par son opposition à la corruption. Entrevue avec celui qui représente la « troisième voie » entre le Fatah et le Hamas, une gauche nouvelle palestinienne, laïque et démocratique.
samedi 7 avril 2007 / Mustafa Barghouti - Alternatives / http://www.info-palestine.net/

Croyez-vous que le nouveau gouvernement d’unité nationale répond aux aspirations du peuple palestinien ?
Nous avons mis en place cette coalition pour mettre fin aux violences factionnelles et éviter la désintégration de l’Autorité palestinienne. Le gouvernement d’unité nationale représente 96 % de l’électorat palestinien (25 membres (12 Hamas, 6 Fatah, 7 « indépendants ».Toutes les factions politiques, hormis le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), y sont représentées. Il s’agit du gouvernement le plus démocratique de l’histoire de l’Autorité palestinienne, mais aussi de l’ensemble de la région. Aucun autre gouvernement dans le monde ne jouit d’une telle représentativité. Il faut voir maintenant comment traduire notre programme politique en actions concrètes.
Quels sont, selon vous, les principaux défis de ce gouvernement ?
Les défis auxquels nous devrons face sont considérables. Premièrement, il faut rétablir l’ordre et la sécurité à l’intérieur des territoires palestiniens en renforçant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il faut également initier de véritables réformes et mettre en place des institutions démocratiques afin de lutter contre la corruption, le népotisme et la répression politique.
Nous devrons ensuite surmonter les difficultés sociales et économiques qui résultent des sanctions financières [sanctions décrétées par les principaux bailleurs de fonds occidentaux et Israël après la victoire du Hamas aux élections parlementaires du 25 janvier 2006 et la formation de son gouvernement, deux mois plus tard]. Ce blocus financier a aggravé la situation, déjà dramatique, des populations de Cisjordanie et de Gaza. Il a durement touché chaque communauté et chaque famille palestinienne. Des dizaines de milliers de Palestiniens n’ont pas reçu leur salaire depuis maintenant plus d’un an.
Afin d’exercer une pression politique, Israël retient toujours l’argent des revenus et des impôts Palestiniens qui s’élèvent à 60 millions de dollars par mois. De quel droit retiennent-ils cet argent ? Une telle punition collective - qui a eu pour effet d’affamer la population palestinienne et non de miner la popularité du Hamas - constitue une violation du droit international, notamment de la Quatrième Convention de Genève. Il est impératif de lever cet embargo, mais aussi de faire cesser les restrictions de mouvements infligées par Israël, qui continuent de porter atteinte aux droits des Palestiniens et diminuent leur accès aux produits de base, au travail, à l’éducation et aux soins de santé.
Croyez-vous que cette coalition permettra la levée du blocus financier occidental ?
Oui. Tous les pays arabes, sans exception, ont reconnu le nouveau gouvernement palestinien. Jusqu’ici, dix pays européens ont emboîté le pas. Hier, l’Inde s’est dit prête à négocier avec tous les membres du gouvernement. Même le Consul général américain à Jérusalem a rencontré le ministre des Finances, Salam Fayyad. Ce que nous souhaitons, c’est que chaque gouvernement examine notre plateforme politique sans la distorsion des lunettes d’approche israéliennes.
Notre gouvernement - incluant les membres du Hamas - s’oppose à toutes formes de violence. Nous proposons un cessez-le-feu complet avec Israël, nous nous sommes engagés à respecter les accords signés par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avec Israël et nous honorons le droit international et les Conventions de Genève, qui sont systématiquement violés par l’État Israélien. Alors comment justifier le maintien de ces sanctions ?
En 2002, vous aviez contribué à la formation de l’Initiative nationale palestinienne (Al Mubadara), avec d’autres intellectuels palestiniens, dont Edward Said, Hadir Abdel Shafi et Ibrahim Dakak. Comment s’inscrit la troisième voie dans ce gouvernement d’unité ? Entre le Fatah et le Hamas, nous représentons l’alternative démocratique. En tant que membre de la coalition, nous cherchons à influencer positivement le programme du gouvernement d’unité en introduisant, entre autres, des réformes sociales et politiques, le respect du droit international et le principe de résistance non violente à l’occupation. Jusqu’ici, on nous a écouté.
Que pensez-vous de la plateforme proposée par le gouvernement d’unité nationale ?
D’un point de vue social, le programme du gouvernement d’unité est très progressiste. Il propose entre autres deux chapitres sur les droits des femmes, qui visent notamment à accroître leur participation dans la vie politique, sociale et parlementaire. Il y a en outre un article qui alloue 5 % des postes de la fonction publique aux personnes handicapées. Nous avons également créé un fonds pour les étudiants universitaires afin de lutter contre le népotisme et accroître l’accès aux études supérieures. Nous proposons également de collaborer de près avec la société civile palestinienne.
Est-ce que cette nouvelle coalition pourra relancer les pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens ? Nous proposons de reprendre les pourparlers, mais jusqu’ici l’État israélien refuse. Israël n’était pas prêt à négocier avec Yasser Arafat ni avec son successeur, Mahmoud Abbas. Puis, il y a eu le boycott après la victoire du Hamas.
Aujourd’hui, le gouvernement d’unité comprend les meilleurs leaders démocratiques palestiniens, pacifistes et modérés. Que peut-on demander de plus ? Un gouvernement de collaborateurs ? Nous sommes convaincus que seule une entité démocratique peut parvenir à un règlement final et pacifique de la question palestinienne. La démocratie en Palestine n’est pas seulement la meilleure option, mais la seule qui puisse mener à une paix durable.
Comment expliquez-vous ce refus israélien ?
Israël cherche à gagner du temps afin de poursuivre sa politique d’annexion, d’expropriation de terres et de construction de colonies de peuplement en Cisjordanie pour ainsi supprimer toute possibilité de création d’un État palestinien indépendant. Avec la construction illégale du mur, on est en train d’installer un système ségrégationniste qui, comme l’a suggéré l’ancien président des États-Unis Jimmy Carter, est pire que le système d’appartheid en Afrique du Sud.
Qu’attendez-vous du gouvernement canadien ?
La reconnaissance immédiate du gouvernement palestinien d’unité nationale et le respect de notre choix démocratique. Le Canada devrait juger notre gouvernement sur la base de notre plateforme politique. Il n’y a aucune raison de maintenir un embargo sur un peuple opprimé qui fait déjà face à une violence quotidienne liée à l’occupation.
Hier, j’ai tenu une conférence de presse pour dénoncer les abus commis par les forces militaires israéliennes, notamment après l’incident survenu au check point de Huwwara, près de Naplouse, le 22 mars dernier. Mohammad Jabali, âgé de 19 ans, a été sévèrement battu par l’armée israélienne. Un caméraman était sur scène et a filmé l’incident. Les images - qui le lendemain ont été diffusées par plusieurs stations de télévision - illustrent ce qui se passe quotidiennement dans les 530 check point militaires de la Cisjordanie. Si le public canadien voyait ces images, il n’aurait plus aucun doute sur la stratégie que devrait adopter son gouvernement.
Quelles sont les perspectives de paix et de stabilité régionales ?
Tout le monde s’entend : il n’y aura aucune stabilité régionale sans régler la question palestinienne. Et il n’est plus possible de rester impartial face à l’injustice qui découle de presque 40 années d’occupation ni face au traitement subi quotidiennement par les populations occupées, en infraction aux principes généraux du droit et aux principes humanitaires. Notre lutte n’est pas différente de la lutte d’Indépendance de l’Inde ou de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Nous n’avons pas les moyens militaires de notre adversaire ni leur appareil de propagande, mais la vérité est avec nous. Nous croyons que notre jour viendra, que nous obtiendrons nous aussi notre libération.

Interview réalisée par Catherine Pappas
Catherine Pappas - Alternatives.ca, le 30 mars 2007
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