dimanche, avril 19, 2009

Le gouvernement égyptien contre le Hezbollah

Les accusations égyptiennes s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie d’une partie des pouvoirs arabes pour faire de l’Iran (et aussi de la Syrie, du Hezbollah et du Hamas) l’ennemi principal, au détriment de la lutte contre Israël.

Sur le site du Monde (« L’armée israélienne sur ses gardes à la frontière égyptienne », 14 avril) : « L’armée israélienne a été placée en état d’alerte élevé le long de la frontière avec l’Egypte, a annoncé mardi 14 avril un haut responsable de l’Etat hébreu. Les forces de sécurité égyptiennes sont à la recherche de treize hommes soupçonnés d’appartenir au Hezbollah et de préparer des attentats contre les ressortissants israéliens dans le Sinaï. »
Le quotidien revient sur les origines de la crise :
« Les autorités égyptiennes avaient annoncé, mercredi 8 avril, l’arrestation de quarante-neuf personnes liées au Hezbollah et accusées de préparer des attentats en Egypte. Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a reconnu que le leader présumé des personnes arrêtées, un Libanais identifié comme Sami Chehab, était bien membre de son mouvement et qu’il se trouvait en “mission logistique” en Egypte afin de faire parvenir du matériel militaire aux Palestiniens de Gaza. »
Dans son discours, dont on trouvera le texte intégral en anglais ci-joint, Hassan Nasrallah rappelle la chronologie des événements :
« — Le 19 novembre 2008, les autorités égyptiennes ont arrêté (avec d’autres Arabes) un citoyen libanais, accusé d’avoir transporté des armes et des équipements à travers la frontière égyptienne vers la Palestine. Certains médias ont mentionné l’appartenance de cette personne au Hezbollah. Mais les choses se sont arrêtées là, et le Hezbollah n’a pas réagi.
— Quelques semaines plus tard, Israël lançait sa guerre contre Gaza. Le Hezbollah a alors défendu l’ouverture du passage de Rafah pour lever le siège de Gaza et aider la résistance. Comme le gouvernement égyptien ne l’a pas ouvert, nous l’avons dénoncé, ce qui a suscité une forte campagne des médias et des autorités contre nous, mais rien n’a été dit de cette affaire d’arrestation.
— Après la guerre, la situation s’est calmée, et une certaine réconciliation arabe a eu lieu. »
Jusqu’au 8 avril, ajoute Nasrallah, quand le procureur général égyptien a publié une déclaration affirmant que la direction du Hezbollah envoyait certains de ses cadres en Egypte pour recruter des membres égyptiens, et que le parti avait décidé de préparer des opérations en Egypte même. Plus aucune mention n’est faite de l’aide à Gaza.
Nasrallah commente alors ces faits, affirmant que l’organisation n’a pas peur de dire ce qu’elle fait. « Oui, Sami Chehab est un membre du Hezbollah, oui il a participé à une action pour transférer des équipements et aider la résistance à Gaza. Or cette accusation n’est pas reprise par les autorités égyptiennes, qui inventent des mensonges selon lesquels nous viserions des objectifs en Egypte, et même certaines hautes personnalités. Quant au nombre de personnes, pas plus de dix (et non cinquante, comme le dit Le Caire) étaient liées à Sami. »
Nasrallah a répété que le Hezbollah était un parti libanais et qu’il ne cherchait pas à s’ingérer dans les affaires des pays arabes ou musulmans, ni à y créer des cellules. Il a aussi nié vouloir répandre le chiisme en Egypte.
La presse israélienne revient longuement sur cette crise (lire « Egypt to Hezbollah : We’ll strike back if you attack us », de Yoav Stern, Haaretz, 13 avril). Selon Yossi Melman, Amos Harel et Avi Issacharoff de Haaretz (14 avril), c’est le Mossad qui a fourni aux Egyptiens les informations pour arrêter la cellule du Hezbollah (« Mossad tip led to capture of Hezbollah cell in Sinai ». Le quotidien reprend les accusations égyptiennes, y compris celle qui affirme que le Hezbollah voulait attaquer des bateaux dans le canal de Suez pour le bloquer, et termine par cette phrase significative : « La découverte de ce réseau amènera l’Egypte à mieux comprendre la position israélienne. »
Zvi Barel, dans Haaretz (12 avril), « Egypt’s top ennemy », inscrit cette campagne égyptienne dans la lutte régionale contre l’Iran :
« La publication de détails et les accusations contre Hassan Nasrallah – tenu directement responsable de financer et d’organiser un réseau terroriste en Egypte – visent en partie à contrer les critiques acerbes du chef du Hezbollah à l’encontre de l’Egypte durant l’opération Plomb durci. Nasrallah a accusé l’Egypte de collaborer avec Israël contre les Palestiniens. De la même manière que le régime égyptien a rallié les médias locaux contre le Hamas, il cherche à nuire à l’image du Hezbollah comme défenseur des Palestiniens. » Le journaliste poursuit en affirmant que cette campagne vise aussi la Syrie et l’Iran, tenus pour responsables de l’échec de la réconciliation palestinienne. L’Iran, en particulier, est désigné comme l’ennemi des Arabes.
Il est sûr que la popularité du Hezbollah, notamment depuis la guerre du Liban de 2006, inquiète une partie des pouvoirs arabes. D’autant que cette organisation est désormais reconnue par différentes puissances occidentales, le Royaume-Uni ayant décidé d’ouvrir un dialogue avec elle (lire « Lebanon’s Hezbollah savors increasing legitimacy », par Borzou Daragahi, Los Angeles Times, 13 avril).
La plupart des forces politiques égyptiennes, y compris la gauche officielle (par la voix de Rifaat Al-Saïd, président du Tagamou&rsquo, ont rallié le camp du pouvoir. Seule exception, les Frères musulmans, principale organisation d’opposition, qui a déclaré que le Hezbollah et l’Egypte avaient les mêmes ennemis et que Le Caire devait ouvrir le passage de Rafah. Les Frères musulmans ont aussi nié le fait que des membres de leur organisation aient participé à la cellule du Hezbollah (« Egypt group denies ’spy cell’ », Al-Jazeera English, 15 avril). Par ailleurs, l’Egypte menace le Hezbollah de représailles (lire « Egypt : Hizbullah will pay heavy price for plotting attacks », par Roee Nahmias, Ynet, 15 avril).
La presse panarabe attaque violemment ceux qui défendent le Hezbollah. Ainsi, le chroniqueur Tariq Alhomayed, rédacteur en chef de Asharq alawsat, quotidien financé par un prince saoudien, publie un éditorial intitulé « Look Who’s Defending Hezbollah ! » (14 avril) :
« Qui défend le Hezbollah ? La réponse est simple et ne requiert pas une grande intelligence : les défenseurs du Hezbollah sont la Syrie, l’Iran, le Hamas et les Frères musulmans égyptiens, le même groupe qui a provoqué toutes les crises survenues entre les pays arabes. » En revanche, bien sûr, Israël n’est responsable de rien...
Même tonalité dans Al-Hayat. En revanche, Alquds alarabi, quotidien publié à Londres, condamne, par la voix de son rédacteur en chef Abdelbari Atwan, les attaques contre le chef du Hezbollah (pour les lecteurs arabophones).
Ecrivant depuis Damas dans Asia Times (« Egypt has Hezbollah in its sights », 15 avril), Sami Moubayed s’interroge :
« Un fait demeure et pose question : Chihab et ses camarades ont été arrêtés en Egypte le 19 novembre 2008, plus d’un mois avant la guerre israélienne contre Gaza, qui a commencé le 27 décembre. L’Egypte a rendu l’affaire publique le 8 avril et les observateurs s’interrogent : pourquoi ce délai ? » Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait durant la guerre contre Gaza, poursuit Moubayed, alors que Nasrallah accusait le gouvernement égyptien de prendre ses ordres des Etats-Unis et demandait l’ouverture du passage de Rafah ?
Ces accusations égyptiennes s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie d’une partie des pouvoirs arabes pour faire de l’Iran (et aussi de la Syrie, du Hezbollah et du Hamas) l’ennemi principal, au détriment de la lutte contre Israël. Cette stratégie était celle de la droite néoconsevatrice américaine. Sera-t-elle celle du président Obama ? Ou les ouvertures en direction de l’Iran prévaudront-elles ?

19 avril 2009 / Alain Gresh / France-Palestine
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