mercredi, décembre 30, 2009

Un jour nous serons tous des terroristes.



Chris HEDGES
Syed Fahad Hashmi pourrait vous en raconter sur le côté sombre des Etats-Unis. Il sait que nos droits défendus par le Premier Amendement ne sont plus qu'une farce, que l'habeas corpus n'existe plus et que nous torturons, non seulement dans des trous noirs comme la base aérienne de Bagram ou à Guantanamo, mais aussi dans le centre de détention métropolitain de Manhattan. Hashmi est un citoyen étasunien d'origine musulmane. Il a été emprisonné sous deux accusations de fournir de l'aide matériel et un soutien à Al-Qaeda. Alors que la date de son procès approche, son calvaire démontre que la plus grande menace qui nous guette ne vient pas des extrémistes islamiques mais de la codification de procédures draconiennes qui nient aux américains leurs droits élémentaires et un procès équitable. Hashmi serait mieux placé que moi pour vous expliquer tout ça, mais le problème c'est qu'il n'a pas le droit de parler.
Si l'histoire peut nous apprendre quelque chose, c'est qu'un jour cette corruption de notre système judiciaire ne sera plus réservée aux seuls accusés de terrorisme, ni même aux musulmans américains. Dans la perspective des agitations et crises économiques à venir, ce traitement sera appliqué à tous ceux qui seront qualifiés d'agitateurs ou de subversifs. Hashmi endure ce que beaucoup d'autres, non musulmans, vont endurer plus tard. Des militants radicaux, des mouvements écologistes, altermondialistes, antinucléaires, du développement durable et anarchistes - qui sont d'ores et déjà placés dans des centres de détention spéciaux avec les musulmans accusés de terrorisme - ont découvert que son sort était aussi le leur. Des groupes courageux ont organisé des protestations, dont des veillées devant le centre de détention de Manhattan. On peut les découvrir sur www.educatorsforcivilliberties.org ou www.freefahad.com. Pendant la journée Martin Luther King, le 18 janvier prochain (2010), une manifestation sera organisée devant le centre pour exiger le respect des droits constitutionnels. Allez-y, si vous pouvez.
Le dossier contre Hashmi, comme dans la plupart des affaires de terrorisme délenchées par l'administration Bush, est incroyablement vide. C'est peut-être la raison pour laquelle l'état a crée des codes civils et pénaux parallèles réservés à ceux qu'il accuse de liens avec le terrorisme. S'il ne s'agissait que d'une question d'éléments concrets à présenter, des militants comme Hashmi, accusé d'avoir facilité la livraison de chaussettes à Al Qaeda, n'auraient probablement jamais été présentés devant la justice.
Hashmi, qui risque 70 ans de prison, a été maintenu en isolement depuis plus de deux ans et demi. Des mesures administratives spéciales (Special administrative measures - SAM) ont été imposées par le Département de Justice pour empêcher ou strictement limiter toute communication avec d'autres prisonniers, avocats, famille, médias ou personnes extérieures à la prison. Il n'a pas droit aux journaux ni aux livres. Hashmi n'a pas le droit d'assister aux séances de prières. Il est sous surveillance vidéo 24/24h et enfermé 23h par jour. Il doit se doucher et aller aux toilettes sous l'oeil des caméras. Il a le droit d'écrire une lettre par semaine à un seul membre de sa famille, mais il ne peut pas utiliser plus de trois feuilles de papier. Il n'a pas accès à l'air libre et doit passer son heure de recréation dans une cage. Son « penchant pour la violence » est invoqué pour expliquer ces mesures, même s'il n'a été jamais été accusé ou condamné pour des actes de violence.
« Mon frère était un militant », m'a dit au téléphone son frère, Faisal, depuis sa maison dans le Queens. « Il s'exprimait sur des sujets qui préoccupent les musulmans, particulièrement les guerres en Irak et en Afghanistan. Son arrestation et ses tortures n'ont rien à voir avec la fourniture de ponchos ou de chaussettes à Al Qaeda, ce dont on l'accuse, il s'agit d'une manipulation de la loi pour réprimer les militants et effrayer la communauté musulmane aux Etats-Unis. Mon frère est un exemple. Le traitement qui lui est infligé est destiné à montrer aux musulmans ce qui les attend s'ils s'expriment sur le sort infligé aux musulmans. Nous avons perdu tous les appels en justice pour préserver son humanité et faire lever les mesures administratives spéciales. Ces mesures sont destinées uniquement à briser psychologiquement les prisonniers et à terroriser la communauté musulmane. Ces mesures illustrent la malveillance à l'égard des musulmans qui existe chez nous et la malveillance à l'égard des millions de musulmans qui sont considérés comme des animaux en Irak et en Afghanistan. »
La privation sensorielle infligée à Hashmi est une forme de torture psychologique très efficace pour briser la volonté et désorienter les détenus. C'est une forme de science appliquée à la torture. En Allemagne, la Gestapo brisait les os tandis que son successeur, la Stasi communiste est-allemande, brisait les esprits. Nous sommes semblables à la Stasi. Nous avons perfectionné l'art de la désintégration psychologique et traîné devant des tribunaux secrets des accusés qui n'avaient plus la capacité mentale et psychologique de se défendre.
« Le droit de Hashmi à un procés équitable a été violé, » dit Michael Ratner, le président du Centre pour les Droits Constitutionnels (Center for Constitutional Rights). « Une bonne partie des éléments à charge a été classifiée sous la loi CIPA (Classified Information Procedures Act (CIPA)), Hashimi n'a donc pas été autorisé à en prendre connaissance. L'accusation n'a fourni que récemment quelques éléments des pièces à conviction à ses avocats. Hashmi n'a pas le droit de communiquer avec les média, ni directement ni par l'intermédiaire de ses avocats. Ses conditions de détention ont détérioré son état mental et sa capacité à participer à sa propre défense.
La procédure contre Hashmi, un militant notoire au sein de la communauté musulmane, viole ses droits garantis par le Premier Amendement ainsi que ceux des autres. » ajoute Ratner. « Alors que les croyances religieuses et politiques de Hashmi, ainsi que sa liberté d'expression et d'association sont protégées par la Constitution, le gouvernement s'est vu accorder une grande latitude par le tribunal pour les utiliser comme preuves quant à son état d'esprit et, par extension, à ses intentions. Les éléments à charge qui sont présentés se basent sur une criminalisation par association. Ce qui pourrait aboutir à la suspension des droits garantis par le Premier Amendement pour d'autres, particulièrement pour les militants et les musulmans.
Des déclarations, croyances et associations qui sont garanties et protégées par la Constitution peuvent donc être considérées comme des crimes. Des dissidents, même ceux qui n'enfreignent aucune loi, peuvent voir leurs droits suspendus et se voir emprisonner sans procès équitable. C'est l'équivalent d'une guerre préventive. L'état peut emprisonner et poursuivre des gens non pas pour ce qu'ils ont fait, ni même pour ce qu'ils avaient l'intention de faire, mais pour avoir exprimé des croyances religieuses ou politiques considérées comme séditieuses. Les premiers ciblés ont été les musulmans pratiquants, mais ils ne seront pas les derniers.
« La plupart des éléments du dossier sont classifiés », m'a dit Jeanne Theoharis, professeur de sciences politiques à Brooklyn College, qui a eu Hashmi comme élève, « mais Hashmi n'y a pas accès. Il est citoyen américain. Mais en Amérique, vous pouvez désormais passer devant un tribunal sans connaître les éléments à charge présentés contre vous. Vous pouvez passer 2 ans et demi en isolement avant d'être accusé de quoi que ce soit. On a parlé des gens enlevés et remis à des états tiers, de Guantanamo et d'Abou Ghraib avec cette idée que si ces gens étaient jugés aux Etats-Unis, leurs procès seraient justes et équitables. C'est faux. Ce qui a rendu Guantanamo possible c'est l'abolition de l'état de droit ici et Hashmi n'est pas le seul à la subir. »
Hashmi a été, comme beaucoup de gens arrêtés dans les années Bush, brièvement présenté comme un cas d'école dans la « guerre contre le terrorisme ». Il a été arrêté en Grande Bretagne le 6 juin 2006, suite à un mandant d'arrêt lancé par des Etats-Unis. Son arrestation a fait la une des journaux de CBS et NBC, qui présentaient des graphismes qui disaient « Sur la piste du terrorisme » ou « Réseau terroriste ». Il a été détenu pendant 11 mois à la prison Belmarsh à Londres, puis il est devenu le premier citoyen américain à être extradé par la Grande-Bretagne. L'année prédédent son arrestation, Hashmi, diplomé de Brooklyn College, avait obtenu un diplôme d'études supérieures (master's degree) en relations internationales au London Metropolitan University. Son dossier est aussi vide que celui des sept hommes arrêtés sous l'accusation de complot pour faire sauter la tour Sears, une affaire où, malgré les cinq condamnations prononcées et après deux jugements cassés, un directeur adjoint du FBI a reconnu que le complot relevait plus d'une « aspiration que d'une opération ». Et ça rappelle aussi l'affaire plus ancienne du militant palestinien Sami Al-Arian, actuellement assigné à résidence en Virginie, persécuté par le Département de Justice alors qu'il aurait du être légalement libéré. Au début du mois de mars, la juge Leonie Brinkema, chargée du dossier Al-Arian, a critiqué les actions du procureur dans cette affaire en déclarant sèchement : « je crois qu'il y a quelque chose de plus importante en jeu ici, et c'est l'intégrité du Département de Justice ».
L'affaire Hashmi repose sur le témoignage de Junaid Babar, citoyen étasunien lui aussi. Au début de 2004, Babar a vécu pendant deux semaines avec Hashimi dans l'appartement de ce dernier à Londres. Dans ses bagages, selon le gouvernement, Babar transportait des imperméables, des ponchos et des chaussettes imperméabilisées, qu'il a ensuite livré à un membre d'Al-Qaeda dans le sud du Waziristan, au Pakistan. Hashmi aurait autorisé Babar à utiliser son téléphone portable pour communiquer avec des conspirateurs impliqués dans des projets terroristes.
« Hashmi a grandi ici, il était bien connu, il avait un franc-parler, très charismatique et très politisé » dit Theoharis. « Le véritable message envoyé aux musulmans américains est que le militantisme politique a un prix. Ca n'a rien à voir avec la livraison de chaussettes ou de ponchos ou d'imperméables. Croyez-vous réellement qu'Al-Qaeda est incapable de se procurer des chaussettes et des ponchos au Pakistan ?
Le gouvernement veut présenter au procès des enregistrements de conversations politiques de Hashmi lorsqu'il était étudiant à Brooklyn College. Pourquoi tolérons-nous ceci ? Parce qu'ils sont musulmans et que cela ne nous concernerait pas ? Tous ceux qui croient aux droits garantis par le Premier Amendement devraient être terrifiés. Il s'agit d'un des enjeux les plus importants de notre époque en matière de droits civiques. Nous l'ignorons à nos risques et périls. »Babar fut arrêté en 2004 et a plaidé coupable pour quatre accusations de soutien matériel à Al-Qaeda et risque lui aussi 70 ans de prison. Mais il a accepté de témoigner pour le gouvernement et l'a déjà fait lors de deux procès sur le terrorisme en Grande-Bretagne et au Canada.
Babar bénéficiera d'une réduction de peine pour services rendus, et beaucoup pensent qu'il sera libéré à l'issue du procès de Hashmi. Puisqu'il n'existe que très peu d'éléments liant Hashmi à des activités terroristes, le gouvernement s'appuiera sur le témoignage de Babar pour démontrer l'existence d'une intention. La réalité de cette intention serait prouvée par des conversations et des déclarations formulées par Hashmi en présence de Babar. Hashmi, qui était membre d'une organisation politique New-yorkaise, Al Muhajiroun, lorsqu'il étudiait à Brooklyn College, a tenu des propos provocateurs en qualifiant les Etats-Unis de la « plus grande organisation terroriste au monde ». Mais l'organisation Al Muhajiroun n'est pas considérée par l'administration comme une organisation terroriste et en être membre n'est pas illégale.
Et quant à la complicité des Etats-Unis dans des actes de terrorisme d'état, c'est simplement une vérité historique.Il y aura d'autres Hashmis, et le Département de Justice, en prévision d'autres détentions, a fait construire en 2006 dans la prison fédérale de Terre Haute, dans l'Indiana, un bâtiment isolé appelé Communication Management Unit. Pratiquement tous les détenus sont musulmans. Un deuxième batiment a été construit à Marion, dans l'Illinois. Là aussi, le plupart des détenus sont musulmans mais on y trouve aussi des défenseurs d'animaux et des militants écologistes, dont Daniel McGowan, accusé de deux incendies sur un site d'exploitation forestière dans l'Oregon. La peine prononcée a été durcie pour cause de « dimension terroriste » dans le cadre de la loi Patriot Act. Amnesty International a qualifié les conditions de détention à Marion de « inhumaines ».
Dans ces deux unités spéciales, tous les appels et courriers - généralement considérés par les administrations pénitentiaires comme faisant partie de la vie privée - sont surveillés. La communication entre prisonniers doit se faire uniquement en anglais. Les détenus considérés les plus dangereux sont enfermés dans un centre de sécurité maximum (Penitentiary Administrative Maximum Facility) appelé Supermax, à Florence, dans le Colorado. Là-bas, les détenus n'ont pratiquement aucun contact humain, exercice physique ou stimulation mentale. On y reproduit les conditions de détention que connaissent la plupart des détenus à Guantanamo. Si des détenus étaient transférés de Guantanamo à la prison de Thomson, dans l'Illinois, ils ne remarqueraient pas une grande différence. Ils y connaîtraient des conditions semblables à celles de Guantanamo, avec le froid en plus.Notre décadence n'est que l'expression du mal dont souffrent tous les empires en déclin.
La tyrannie que nous imposons aux autres finit par se retourner contre nous. L'afflux de militants américains non-musulmans dans ces sites de détention n'est qu'une sinistre tendance de plus. Elle présage la poursuite du démantèlement de l'état de droit, l'élargissement d'un système où les prisonniers sont brisés psychologiquement par des privations sensorielles, un isolement extrême et des tribunaux fantoches tenus à huis clos où les accusés sont condamnés sur la base de rumeurs ou de sous-entendus et n'ont pas accès au dossier d'accusation.La dissidence n'est plus le devoir d'un citoyen engagé mais est en train de devenir un acte de terrorisme.
Chris HedgesA
RTICLE ORIGINAL truthdig
traduction VD pour le Grand Soir legrandsoir

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