mercredi, mai 31, 2006

Coup d'arrêt

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et le renforcement de la lutte antiterroriste, les pays démocratiques s'efforcent de concilier l'efficacité policière, qui peut conduire à limiter les libertés publiques et le respect des droits de l'homme, à commencer par la protection de la vie privée. L'accord, signé en 2004, entre l'Union européenne et les Etats-Unis, autorisant le transfert aux autorités américaines des données personnelles des passagers aériens, avait été vivement contesté par les associations de défense des droits de l'homme mais aussi, en France, par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Allant jusqu'au bout de son opposition, le Parlement européen avait obtenu que la Cour de justice des Communautés européennes, qui siège à Luxembourg, soit saisie.

En annulant, le 30 mai, la double décision de la Commission et du Conseil qui avait conduit à l'accord entre Bruxelles et Washington, la Cour de Luxembourg a donné un coup d'arrêt bienvenu à une pratique qui, malgré les efforts des négociateurs européens, n'était pas conforme à l'équilibre recherché entre les exigences de la lutte contre le terrorisme et celles du respect de l'Etat de droit. "La protection de la vie privée est un élément essentiel des libertés individuelles", a rappelé à juste titre le président du groupe libéral du Parlement européen, Graham Watson, en se félicitant de cet arrêt.
Il est vrai que la condamnation de la Cour ne porte pas sur le contenu de l'accord euro-américain mais sur la base juridique qui a rendu possible la double décision de l'Union. Les juges de Luxembourg ont estimé que la directive qui avait servi de fondement aux initiatives de la Commission et du Conseil ne pouvait pas s'appliquer au traitement de données collectées à des fins de sécurité publique, les questions de cette nature relevant des gouvernements nationaux, et non des institutions européennes. Selon la Cour, le droit communautaire ne pouvait donc être invoqué dans ce cas.
Il faut rendre hommage aux parlementaires européens qui, une fois de plus, ont su faire entendre leur voix pour défendre une certaine idée de l'Europe, mais, paradoxalement, l'avis de la Cour, en rappelant que les questions de sécurité sortent du champ communautaire, ouvre la voie à une solution qui risque d'exclure le Parlement des décisions à venir. L'association britannique Statewatch n'hésite pas à parler d'une "victoire à la Pyrrhus", en exprimant même la crainte que le nouvel accord qui va être négocié entre l'Europe et les Etats-Unis soit pire que le précédent en matière de protection de la vie privée. Pour que le Parlement continue de jouer son rôle, la "communautarisation" du domaine de la coopération judiciaire et policière, que demande notamment la Commission européenne, est aujourd'hui indispensable.

Article paru dans l'édition du 01.06.06
© Le Monde.fr
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