mardi, juin 06, 2006

Les combattants islamistes ont conquis Mogadiscio en quatre mois

Un drapeau blanc, hissé en cours de matinée dans la capitale somalienne, a donné le signal de la fin de quatre mois de combats qui ont fait environ 400 morts et 2 000 blessés, et celle du règne des "seigneurs de la guerre" à Mogadiscio. La reddition, lundi 5 juin, de Musa Sudi Yalahow et de Bashir Raghe, Shiral, deux membres de premier plan de l'Alliance des chefs de guerre appuyés financièrement par les Etats-Unis, a également marqué le début d'une nouvelle ère incertaine, celle de la coalition réunie sous la bannière de l'islam rassemblant combattants de l'Union des tribunaux islamiques, opportunistes de tous bords et fondamentalistes.

La veille, les miliciens des tribunaux islamiques avaient mis en déroute Mohammed Qanyare Afrah, l'un des piliers de l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (ARPCT), constituée en février. Qanyare avait du se réfugier à Johwar, 100 kilomètres plus au nord, précédant de peu l'adieu aux armes des derniers chefs de l'ARPCT.
L'Alliance soutenue par Washington a donc perdu la bataille de Mogadiscio, malgré les millions de dollars versés par les services secrets américains aux chefs de guerre. Le calcul qui consistait, pour les Etats-Unis, à "nettoyer Mogadiscio des islamistes pour quelques millions de dollars", selon un spécialiste de la région, s'est révélé un échec, sans doute inscrit dans ses divisions initiales. "Jamais un groupe de l'Alliance n'est intervenu pour en défendre un autre", note la même source.
En face, les miliciens des tribunaux islamiques ont bénéficié de fonds importants versés par des hommes d'affaires somaliens et par des organisations originaires de pays arabes, ainsi que de livraisons d'armes. Ils ont également tiré parti de l'expérience militaire de djihadistes étrangers et d'anciens officiers supérieurs de l'armée de Syad Barre, le président chassé du pouvoir en 1991. Au noyau initial de 3 000 miliciens des tribunaux islamiques, se sont joints de nombreuses recrues. Le groupe a été capable, selon les calculs des experts de l'ONU, d'enrôler plus de 11 000 hommes pour mener, comme l'a déclaré le président de l'Union des tribunaux islamiques, Sheikh Sharif Sheikh Ahmad, la "guerre sainte" à l'ARPCT.
Dans la galaxie des mouvements réunis sous la bannière des tribunaux islamiques, les tendances ne devraient pas tarder à apparaître. Les plus durs se trouvent dans les centres d'entraînement, à l'ouest du pays. Alors que certains combattants sont allés s'entraîner en Afghanistan ou en Irak, d'autres Somaliens reçoivent des formations sur leur propre sol, notamment dans la région frontalière avec le Kenya, sous le commandement de Hassan Al-Turki, un vétéran des groupes armés islamistes somaliens qui est également l'un des dirigeants de la coalition qui vient de prendre Mogadiscio.
"CE N'EST QU'UNE ÉTAPE"
L'Union des tribunaux islamiques va-t-elle se contenter de la capitale ou s'aventurer à prendre d'autres villes de Somalie ? Selon un spécialiste de la Somalie, l'expansion est inscrite dans le projet des têtes pensantes qui se dissimulent derrière les tribunaux islamiques. Il avertit : "La Somalie n'est qu'une étape. Ceux qui ont pris le pouvoir à Mogadiscio ont un projet beaucoup plus large. La prochaine étape visée, d'ici un ou deux ans, est le Yémen, puis l'Arabie saoudite."
Dans l'immédiat, la tourmente de la victoire des tribunaux islamiques et de leurs alliés risque-t-elle d'emporter le fragile gouvernement fédéral de transition créé en 2004 à Nairobi, au Kenya, après deux ans de négociations, et dont une partie des membres se trouve à Baidoa, à 250 kilomètres de Mogadiscio ? Une source gouvernementale affirme redouter la "tentation", parmi les plus durs des nouveaux maîtres de la capitale, de continuer les combats en direction de Johwar, dernier bastion de l'Alliance, dont le chef, Mohammed Dheere, s'est réfugié en Ethiopie en espérant y recevoir un soutien d'Addis Abeba en armes et argent.
Car un affrontement régional se joue en effet dans les combats en Somalie. L'Ethiopie et l'Erythrée, qui mènent depuis la fin de leurs propres affrontements en 2000 une guerre froide sans répit, soutiennent chacune un camp. L'Ethiopie a livré des armes aux chefs de guerre qu'elle soutient en Somalie, et l'Erythrée aux islamistes.


Jean-Philippe Rémy
Article paru dans l'édition du 07.06.06
© Le Monde.fr
INQUIETUDE A WASHINGTON
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