mercredi, juin 07, 2006

"Mogadiscio n'est pas Kaboul"

Les tribunaux islamiques qui viennent de prendre la capitale de la Somalie, Mogadiscio, sont-ils pilotés par Al-Qaeda?

- Pas du tout. Les tribunaux islamiques sont nés en réaction aux problèmes de sécurité qu'a connu Mogadiscio où une véritable industrie du kidnapping s'était développée. A la création du gouvernement de transition en 2004, les dirigeants ont voulu abandonner la capitale aux fractions armées qui y régnaient. Les tribunaux ont refusé de délocaliser la capitale somalienne et ont donc décidé de rétablir un semblant d'ordre et de justice dans les rues de Mogadiscio. Des clans se sont ainsi formés, par lieu, par sensibilité religieuse aussi, pour tenter de régler ces problèmes de sécurité. Les tribunaux ne sont pas les djihadistes que l'on décrit. Si cette union s'est effectivement formée sur une base islamique, on ne peut absolument pas la réduire à une mouvance pilotée par Al-Qaeda. Les Somalis sont trop fiers pour se faire contrôler par des

arabes.Quelle a été l'implication des Etats-Unis en Somalie?

- Les Etats-Unis ont favorisé, à l'image du plan Phœnix pendant la guerre du Viêt-Nam, une campagne d'assassinats ciblés entre 2001 et 2005 qui a frappé des proches du mouvement djihadiste. Puis avec l'avènement des tribunaux islamiques, les Américains ont opté pour la "technique afghane": financer les seigneurs de guerre pour que ces derniers luttent contre les tribunaux, dans le cadre d'une alliance anti-terroriste chapeautée par l'Ethiopie. Mais Mogadiscio n'est pas Kaboul, et si les talibans n'étaient guère appréciés des Afghans, les Somalis n'ont rien contre les tribunaux islamiques qui n'ont aucune fonction gouvernementale. Les dernières déclarations du président américain sont ainsi très inquiétantes. Les Etats-Unis risquent de réarmer les Ethiopiens, les fractions armées, et revenir au modèle des années 2001-2005.

La victoire des tribunaux islamiques risque-t-elle d'emporter le fragile gouvernement fédéral de transition créé en 2004?

- Le gouvernement de transition est quoi qu'il en soit hors-jeu.Considéré par les tribunaux comme l'instrument des Ethiopiens qui en ont organisé la constitution, ces derniers n'accepteront jamais d'obéir aux ordres d'un gouvernement qui n'a pour eux aucune légitimité. Ceci étant dit, personne ne sait aujourd'hui ce qui va se passer à Mogadiscio, et les tribunaux eux-mêmes n'ont pas encore décidé de la suite des évènements. Il est tout à fait possible de voir une rébellion éclater si ces derniers décidaient de prendre le pouvoir. Les tribunaux se sont unifiées en réaction aux violences de la capitale somalienne, mais la structure de cette organisation reste clanique et territoriale. Des divergences éclatent déjà au premier jour de la prise de Mogadiscio pour savoir qui va récupérer l'armement des factions en déroute. La situation est fluide pour l'instant, de nouveaux rapports de force sont en train de se déterminer, tout est encore possible.

par Roland Marchal,chargé de recherche au CNRS, spécialiste de la Corne africaine .

Propos recueillis par Raphaël Legendre
(Le mercredi 7 juin 2006)
Nouvel Observateur
Entretien (basta)

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