mercredi, décembre 13, 2006

Palestinienne d’Israël

Ula Tabari a tourné « Enquête personnelle », film montré au Forum du documentaire israélien de Confluences (190, boulevard de Charonne, Paris 20e).
publié le mercredi 13 décembre 2006 / Ula Tabari / France-Palestine / Entretien

Que raconte votre film ?
Ula Tabari :
Les enfants palestiniens en Israël hissaient le drapeau israélien et chantaient à la gloire d’Israël. Chaque année, ils faisaient la fête à l’école avec des spectacles, des chansons ! Il y avait des décorations et des drapeaux partout et personne ne disaitt rien. C’était la loi. Le jour officiel de l’Indépendance, les gens n’avaient pas besoin de visa pour sortir de chez eux : au lieu d’aller pique-niquer, ils allaient visiter leur village détruit. Mon père, comme par hasard, était toujours malade et nous ne quittions jamais la maison. Comment vivre en tant que Palestinien dans un État juif israélien, en détenant la carte d’identité ou le passeport israélien, tout en portant l’histoire, l’appartenance et l’identité palestiniennes ?
Votre mère fait un travail de transmission. On la voit dans une école raconter à des enfants les massacres de 1948...
U. Tabari :
Ce que fait ma mère, d’autres Palestiniens le font aussi. C’est normal. Voyez, en France, dans une famille, on parle avec les enfants. On dit : « Mon père est mort dans la guerre entre x et y. » Heureusement qu’on parle, c’est comme cela que la mémoire se transmet. Chez les Palestiniens vivant en Israël, il y a un grand besoin de nommer les choses, parce que la société israélienne les a séparés. Ce qui se passe vis-à-vis des Palestiniens, c’est comme si, en France, les gens regardaient leurs voisins comme des aliens... Les Palestiniens parlent aujourd’hui et racontent leur histoire. Ma mère a toujours parlé librement, à chaque fois qu’elle avait une opportunité, et elle est toujours restée en contact avec des Israéliens dans le milieu professionnel. Elle a repris ses études après une longue pause, quand moi-même j’étais à l’université. Elle voulait également raconter son histoire pour faire miroir à celle des Israéliens.
S’agit-il d’une société d’Apartheid ?
U. Tabari :
Je suis de Nazareth. 72 000 habitants y vivent. Nazareth Ilit [ville à majorité juive, NDLR] a été construite, dans les années 1950, avec 50 000 habitants sur des terres confisquées de Nazareth et des villages alentour. La plupart des gens de Nazareth Ilit ne connaissent pas la réalité de leurs voisins palestiniens de Nazareth. Ces gens passent chez les Arabes prendre leur pain, faire des achats parce que c’est sympa, pas cher et « exotique ». En Israël, les gens sont capables de monter des spectacles afin de réunir de l’argent pour la population en Inde suite à un tremblement de terre ayant fait 1 000 orphelins, mais ils sont incapables de voir qu’à trois kilomètres de chez eux, il y a des gens tués de leur faute. C’est absurde, c’est de l’aveuglement. Il faut espérer que la génération future, en Israël, se révoltera contre cet aveuglement en disant aux autorités : « Arrêtez de mentir ». En attendant, nous, les Palestiniens, nous payons.
Les Palestiniens, un jour ou l’autre, auront leur État. Alors là, les Israéliens devront commencer à faire leur compte et cela sera très lourd et compliqué. Les fautes d’Israël sont nombreuses. Israël prétend parler au nom de tous les Juifs, mais cet État ne représente heureusement pas tous les Juifs du monde. C’est un État dont l’image extérieure est d’abord militaire. L’Israélien apparaît au monde comme un soldat. De plus, Israël se présente comme un État « démocratique » où, par exemple, un Arabe palestinien d’Israël a le droit d’aller à la plage comme tout le monde, mais il existe aussi de nombreuses lois racistes contre ces Palestiniens, telle la loi interdisant aux Juifs d’acheter, de vendre une maison ou de la terre aux Palestiniens et bien d’autres choses, encore.
Israël se prétend démocratique, disant, en substance : « Voyez, on accepte que des Arabes israéliens vivent chez nous » ! Longtemps, l’opinion a considéré que les Arabes des territoires occupés en 1967 étaient les seuls Palestiniens, niant l’existence des Palestiniens vivant en Israël. Les Arabes nous appellent les Arabes israéliens, titre donné par l’État d’Israël.
Votre film porte sur l’identité des « Arabes de l’intérieur »...
U. Tabari :
Je voudrais ajouter quelque chose de très important, par rapport au festival de films où je présente Enquête personnelle. Je me suis vraiment posé la question d’y participer ou non quand j’ai reçu l’invitation, parce que le festival s’appelle Forum du documentaire israélien. J’aurais préféré qu’il s’appelle Forum de documentaire sur « Israël », soit en écrivant Israël entre guillemets, soit en proposant une autre formule. Je me trouve dans un programme où mon film est « palestinien », avec la seule radio Shalom pour sponsor. Même s’il n’y a pas là d’argent du gouvernement israélien et que l’aide pour les films vient de l’ambassade de France en Israël, je me suis vraiment demandé si j’avais ma place dans ce festival.
D’autant que, personnellement, j’ai signé en faveur du boycott d’Israël. Je suis palestinienne. J’ai un passeport israélien - c’est mon droit. Puisqu’Israël se présente comme un État démocratique, je dis : « Laissez-moi parler de moi-même. » Je veux présenter mon film en défendant ma Palestine, et dire : « N’oubliez pas que je suis là. Nazareth, c’est ma Palestine et c’est Israël. Mes parents m’ont appris à aller la tête haute parce qu’en ayant le respect de soi-même, l’ennemi est obligé de vous respecter. » En ce sens, j’ai pensé qu’il était plus efficace de montrer mon film au Forum du documentaire « israélien » pour qu’on n’oublie pas qu’il y a des Palestiniens en Israël.
Dans ce pays, nous sommes refusés, niés, mais nous sommes là. Par exemple, quand les gens demandent si on parle l’hébreu à la maison avec les parents. Ils refusent notre histoire, notre existence, et ils oublient que, quand nous pleurons nos maisons, notre histoire, nos enfants, nous faisons comme n’importe quel Juif russe vivant en Israël qui pleure sa maison en Russie, fait ses déclarations d’amour à sa femme en russe et pas en hébreu. Moi aussi, je déclare mon amour en arabe et non en hébreu.
Propos recueillis par Laura Laufer

publié sur le site de la LCR http://www.lcr-rouge.org/imprimer_article.php3 ?id_article=5056

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