mercredi, septembre 03, 2008

Retour sur les premiers moments du conflit entre la Russie et la Géorgie

si les passions déchaînées par le conflit qui oppose depuis le 8 août dernier la Russie et la Géorgie sont loin d’être apaisées, il apparaît aujourd’hui possible de commencer à trier le bon grain des faits (de la réalité des évènements), de l’ivraie des présentations sollicitées, pour ne pas dire mensongères.

Première question : Qui, dans ce conflit, est l’agresseur et qui a violé le droit international ?

La première vague d’opinions, dans les médias occidentaux, désignait plutôt la Russie. En gros, elle se partageait en deux courants.Il y avait ceux pour qui le doute n’était pas permis, la Russie avait ouvert le feu la première par supplétifs ossètes interposés et s’apprêtait, pour les épauler, à faire débouler ses chars et ses parachutistes par le tunnel de Roky, envahissant ainsi l’Ossétie du Sud et menaçant directement la Géorgie. C’est la thèse de la riposte à une provocation russe.Il y avait ceux, plus nuancés, qui admettaient que la Géorgie s’était certes lancée sans une opération quelque peu aventureuse de reconquête manu militari de l’Ossétie du Sud sécessionniste (donc avait ouvert le feu la première) mais justifiaient cette opération par le droit légitime, pour la Géorgie, de se défendre de manière préventive contre une attaque russe dont le caractère inéluctable était devenu évident. C’est la thèse de l’attaque préventive en légitime défense.
Aujourd’hui que l’on peut reprendre plus calmement l’histoire des relations entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud depuis l’indépendance de la première en 1991 et que l’on connaît mieux le film exact des évènements, cette thèse de la Russie agresseur est considérablement affaiblie à l’épreuve des faits.
L’histoire des relations entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud depuis l’indépendance de la première en 1991
Cette histoire est tout sauf paisible. L’Ossétie du Sud n’a pas accepté, lors de l’accession de la Géorgie à l’indépendance en 1991, de voir l’autonomie dont elle bénéficiait au temps de la Géorgie soviétique, brutalement abrogée et elle a réclamé son indépendance en vue d’un rattachement à l’Ossétie du Nord, devenue, elle, République au sein de la fédération de Russie (rattachement qui a toujours été son objectif même à l’époque soviétique). Le premier chef d’Etat de la nouvelle Géorgie, Gamsakhourdia ne voulut rien entendre et tenta de régler le différend par la force : il s’ensuivit, toute l’année 1992, une véritable guerre civile entre Ossètes du Sud et Géorgiens, avec son cortège d’exactions, d’exodes et de haines inter-ethniques . La mort du président géorgien et son remplacement par Chevardnaze permit la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entre la Russie et la Géorgie. Cet accord (dit de Dagomys), d’une part stipulait que la paix en Ossétie du Sud était assurée par un contingent de trois bataillons (un russe, un géorgien et un ossète), chacun fort de 500 hommes, d’autre part engageait la Géorgie à trouver une solution politique la question ossète et à garantir la paix. Pour sa bonne mise en œuvre, une Commission mixte de Contrôle et de Coordination était instituée associant Russes, Géorgiens, Ossètes du Sud et Ossètes du Nord.
L’Ossétie du Sud a vécu, après cet accord, dans un état de sécession de facto d’avec la Géorgie et elle a confirmé en 2006, toujours par référendum, sa proclamation d’indépendance de 1992. L’activisme du président Saakashvili (élu en 2004 puis réélu en 2008) contre les irrédentismes abkhaze, adjare, et ossète a, très vite, envenimé la situation et débouché sur le conflit que nous connaissons aujourd’hui.
Le film des évènements
Depuis début 2008, date de la réélection de M. Saakashvili comme président de la Géorgie sur un programme guerrier de reconquête des territoires sécessionnistes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud (l’irrédentisme adjare ayant déjà été réduit), la Géorgie multipliait incidents frontaliers, attaques et survols menaçants de l’Ossétie du Sud. De façon inexplicable (ou trop explicable comme on va le voir), M. Saakashvili annonce à la télévision le 7 août au soir qu’il a ordonné « l’arrêt des attaques sporadiques de l’armée géorgienne sur l’Ossétie du Sud », ce qui signifie, mais nul ne le sait encore, qu’aux escarmouches d’une guérilla va maintenant succéder une offensive de grande envergure contre l’Ossétie du Sud.
Puis les troupes géorgiennes pénètrent en territoire ossète et opèrent un bombardement d’artillerie massif contre la capitale de ce territoire, Tskhinvali, dans la nuit du 7 au 8 août 2008, à l’instant même où débute la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, cérémonie à laquelle assistent les présidents Bush et Sarkozy ainsi que V. Poutine, coïncidence qui ne doit à l’évidence rien au hasard.
Le président Saakashvili déclare alors, pour présenter et justifier l’action de la Géorgie : « Nous intervenons pour rétablir l’ordre constitutionnel ». De Russie il n’est donc pas encore question et le prétexte de l’agression de la Russie ne viendra que plus tard, au moment de la riposte des forces russes, riposte à laquelle il ne s’attend visiblement pas.
A ce moment-là (ce moment va durer moins de vingt-quatre heures), la Géorgie se sent en position de force grâce à son armée puissamment armée et entraînée par les Etats-Unis et Israël face à des forces militaires et paramilitaires ossètes qui ne font pas, et de loin, le poids. Elle indique au pouvoir en place à Tskhinvali qu’elle est disposée à stopper son opération de « pacification et de rétablissement de l’ordre constitutionnel » s’il accepte une négociation directe sans médiation russe, au mépris de l’accord de 1992 et, en particulier, des prérogatives reconnues à la Commission mixte de Contrôle et de Coordination. Elle promet à l’Ossétie du Sud une large autonomie et une aide humanitaire de 35 millions de $ pour la reconstruction (les dégâts provoqués par le déluge d’artillerie dont Tskhinvali a été la cible seront estimés à plus de 100 millions d’euros). Le premier ministre géorgien propose aussi « une amnistie juridico-politique pour tous les hauts fonctionnaires de la république autoproclamée » tout en menaçant de poursuivre l’offensive militaire jusqu’au complet rétablissement de l’ordre. Dans son allocution à la nation, citée par l’agence d’information géorgienne Akhali Ambebi Sakartvelo, le président Saakashvili annonce, dans la matinée du 8 août, que la majeure partie de l’Ossétie du Sud est désormais « libérée et contrôlée par les forces gouvernementales géorgiennes », accusant faussement Moscou d’avoir envoyé des bombardiers SU-24 frapper les alentours de Gori, ainsi que d’autres endroits du territoire géorgien (ce qui sera démenti par Moscou).Plusieurs heures après le déclenchement de l’offensive géorgienne, et selon les déclarations des dirigeants géorgiens eux-mêmes, il est donc clair que cette offensive est bien une initiative de la Géorgie, à sa seule discrétion, et non une réaction (une contre-offensive) à une quelconque déclaration, attitude ou action de la Russie , et que l’on ne parle pas encore de chars et parachutistes russes ayant franchi le tunnel de Roky vers l’Ossétie du Sud mais seulement d’avions russes, avec aussitôt, d’ailleurs un démenti de Moscou.
La conclusion de ce qui précède est dévastatrice pour la Géorgie de M. Saakashvili.
La Géorgie apparaît nettement, à la lecture des faits, comme celle qui a pris l’initiative des évènements sans y être ni provoquée ni contrainte par la Russie et elle l’a fait dans des conditions qui démontrent sa duplicité et sa mauvaise foi
Mais son initiative peut-elle être qualifiée, pour autant, d’agression constituant une violation du droit international (d’aucuns observent en effet qu’elle intervenait en Ossétie du Sud donc encore, de jure, à l’intérieur de ses frontières). C’est oublier qu’elle était liée par l’accord russo-géorgien de 1992, qu’elle a violé de façon consciente et organisée, accord qui l’obligeait, faut-il le répéter, à trouver une solution politique à l’irrédentisme ossète et à garantir la paix, alors que la Russie, de son côté, a respecté tous ses engagements, y compris, ceux de fermer dans les délais fixés, ses point d’appui militaires, séquelles de l’ère soviétique.
La Géorgie est donc l’agresseur, un agresseur qui a prémédité de longue date et manigancé avec beaucoup de duplicité et de mauvaise foi son agression. Il y a bien agression de sa part, agression délibérée.
Les commentateurs occidentaux du conflit ne s’y sont pas trompés : le débat a progressivement glissé d’un tableau où la Russie était dénoncée comme l’agresseur à un tableau où elle est critiquée comme ayant eu une réaction, par ses objectifs et par ses moyens, disproportionnée à la nature et à la dimension de l’intervention géorgienne.
Mais ce glissement ne doit pas faire illusion : il s’agit toujours de déguiser l’agresseur, à savoir la Géorgie, en victime et de prêter à la Russie les intentions les plus noires et les comportements les plus contestables. Au premier rang des raisons qui expliquent cette volonté de noircir la Russie et d’innocenter la Géorgie, il y a la conviction, chez nombre de commentateurs, que cette dernière est une démocratie alors que la première serait un régime autoritaire, voire dictatorial et donc la pétition de principe selon laquelle une démocratie ne peut être, par définition, un agresseur violant le droit international (ou alors à son corps défendant, ou bien encore avec de très fortes circonstances atténuantes).
Sans parler de l’outrecuidance qu’il y a ainsi à décerner des brevets de démocratie aux uns et à taxer les autres d’autocraties, on ne peut que sourire devant une telle naïveté, laquelle assimile abusivement démocratie et respect du droit international, et/ou devant une telle ignorance de l’histoire des relations internationales, laquelle ne manque pas d’exemples (certains sont très récents) de violations graves du droit international commises par des régimes qui aiment à se parer du qualificatif de démocratiques.Mais, au fait, à supposer même que les régimes démocratiques soient plus respectueux du droit international, est-il établi que la Géorgie de M. Saakashvili soit une démocratie ? C’est la seconde question qu’il convient de se poser.

Seconde question : Est-il si évident que cela que la Géorgie de M. Saakashvili soit une démocratie ?
Les thuriféraires du régime de M. Saakashvili dans la presse internationale ont beau (et cela sans sourire !) lui décerner le « premier prix de la classe occidentale » et affirmer qu’il est une démocratie accomplie, on ne peut que rester dubitatif sur la réponse à apporter à cette question, surtout quand on a lu le portrait qu’en dresse quelqu’un qui le connaît bien, Mme Salomé Zourabichvili, dans le numéro 129 de la revue Hérodote (2ème trimestre 2008). De double nationalité, française et géorgienne,
Salomé Zourabichvili a été ambassadrice de France en Géorgie à l’époque de Chevardnadze avant d’être nommée Ministre des Affaires Etrangères géorgien dans le premier gouvernement formé par M. Saakashvili (et, faut-il le souligner, à la demande expresse de ce dernier).
Elle connaît donc bien la Géorgie d’aujourd’hui.Mais laissons la parler.
Sur la réalité de la démocratie en Géorgie : « …car si l’on en vient maintenant à la situation actuelle de la Géorgie, le système de droit est en panne…Le système Saakashvili retombe exactement dans les mêmes ornières que ce lui de Chevardnadze consistant en une accaparation sans partage du pouvoir par un petit groupe. C’est le groupe d’un parti, d’un président…On a donc un paradoxe, une société réellement en train de se démocratiser, avec des aspirations de plus en plus affirmées, et un système de pouvoir qui reste non démocratique car il lui manque l’essentiel, c’est-à-dire des contrepouvoirs… »
Sur le rôle passé et présent des ONG en Géorgie : « La fondation Soros et l’Institut des Libertés ont été le berceau de la démocratie, notamment la fondation Soros,...ils ont indéniablement porté la révolution. Mais on ne peut pas arrêter l’analyse à la révolution et on voit clairement qu’après, la fondation Soros et les ONG ont été intégrées au pouvoir. Elles ont abandonné l’idée d’être un contre-pouvoir et ont laissé la société géorgienne encore plus démunie qu’à l’époque Chevardnadze…C’est ainsi que l’on peut dire que le régime de Saakashvili devient encore plus monolithique que celui de son prédécesseur, car il n’y a plus d’ONG auxquelles il doit se confronter… Actuellement les ONG indépendantes sont des ONG faibles et qui ne disposent pas de soutien financier américain suffisamment important…il n’y a pas de financement concurrentiel, les fondations européennes n’ont pas de stratégie…il n’y arien qui permette l’émergence d’un véritable contre-pouvoir. Cette situation pervertit encore plus le système Saakashvili car personne ne peut le contrebalancer sérieusement. »
Sur son éviction du gouvernement géorgien : « Il y a plusieurs raisons à cela. Dès le départ, j’ai été un corps étranger pour la nouvelle élite au pouvoir qui a été constituée tout de suite par des éléments de l’ancienne nomenklatura…d’ailleurs sur la circulation des élites, c’est plus une continuation qu’une révolution…Donc, moi, une femme européenne qui arrive avec mes valeurs et mes principes, je deviens rapidement un corps étranger à tout cela. De plus, j’ai essayé d’introduire des réformes au sein du Ministère des Affaires Etrangères et j’ai touché immédiatement aux intérêts économiques de certains clans…Il faut savoir qu’à l’époque de Chevardnadze, un poste d’ambassadeur est avant tout un fief…Aujourd’hui, il faut le dire, Saakashvili a restauré le même système et les ambassades continuent d’être des prébendes. Un troisième facteur a joué dans mon éviction, c’est l’orientation de la politique étrangère. J’ai été remerciée au moment où je venais de réussir une négociation très importante pour notre pays : le départ des bases militaires russes…J’étais proche de conclure un règlement des conflits en collaboration avec l’OSCE et les Américains…Je suis remerciée en Novembre 2005 et mon départ correspond à un durcissement de ton à l’égard de la Russie et à l’augmentation des tensions dans les territoires en conflit. Au-delà de mon propre sort, on peut regretter que mon départ mette un terme à un horizon de pacification qui est absolument nécessaire pour l’avenir. Tout cela s’est déroulé à l’aide de méthodes dignes des grands procès en vigueur en 1937… »
Sur la jeune garde qui a pris le pouvoir autour de Saakashvili et accapare ce pouvoir : « …On est dans un système étrange, toute cette jeune génération qui travaillait au sein de ces ONG a été intégrée au pouvoir. La principale chaîne privée, Roustavi 2, qui a été au cœur du changement pendant la révolution des roses, est devenue la chaîne « des gens qui ont gagné » ; elle en a fait d’ailleurs, un temps, son slogan publicitaire…Il n’y a plus de télévision d’opposition. Le Parlement est composé aux trois-quarts de députés à la solde du Gouvernement…Le système judiciaire, qui était déjà imparfait, est en piteux état…On peut dire sans détour que le pouvoir judiciaire est dominé par l’argent…depuis l’arrivée du système Saakashvili, on a assisté à une perversion du système et on peut malheureusement dire que l’on va de plus en plus vers un régime para-totalitaire. »

02 sep 2008 / berdca

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