samedi, avril 08, 2006

Le village le plus pauvre du Maroc


Le village le plus pauvre du Maroc : Reportage à Sidi Ali de Tel Quel

Dans une région ravagée par la pauvreté, les villageois de la commune de Sidi Ali agonisent dans l'indifférence absolue. Le recensement détaillé du Haut commisariat au plan vient de décréter leur commune “la plus pauvre du Maroc”. Sur place, la réalité est encore plus dramatique que les chiffres.

“La route pour Sidi Ali, s'il vous plaît ?”. Le gendarme nous regarde, les yeux ronds. Nous sommes bien à Rissani, dans la province d'Errachidia mais de Sidi Ali, l'homme en uniforme n'a jamais entendu parler. Sur la carte, le village de Sidi Ali n'existe tout simplement pas. Normal. Sidi Ali est le nom du cimetière et de la commune. Il faut emprunter le chemin d'Ighef Nighir (l'impasse de la montagne), pour enfinarriver au chef-lieu, Tafraout (à ne pas confondre avec la ville de Tafraout), un patelin perdu, aux antipodes des cartes postales qui ornent les devantures des auberges du grand sud.
Le 4x4 s'enfonce dans la piste, cahote entre ergs, buissons et rocaille. “On a de la chance, la piste est souvent impraticable. Avec les derniers orages, les villageois n'ont pas pu se rendre au souk de Rissani pendant près de quatre semaines”, fait remarquer le chauffeur. Il a fallu près de trois heures pour traverser la centaine de kilomètres qui séparent le village de Taous (le paon, une appellation qui date du temps où la région pullulait d'oiseaux rares), le dernier dont l'accès soit relativement goudronné.

Alors que le thermomètre affiche déjà une température effroyable, des bouffées de chaleur généreusement offertes par le désert annoncent un printemps rude et un été impitoyable. Si on ne les voit pas, si on ne les entend pas, si on ne les aperçoit même pas au moment del'appel à la prière, c'est que les habitants de la commune de Sidi Ali n'ont aucune raison de quitter leur demeure. Il n'y a tout simplement rien à faire dehors. Nous sommes officiellement dans le village le plus pauvre du Maroc. Ici la vie semble une anomalie.
Vivre nous tue
“Vivre, c'est bon pour vous autres, qui habitez au centre. Pour nous, survivre, c'est sans doute ce qu'on a de mieux à faire”. Paradoxalement le ton de la voix n'est guère rageur, on n'y décèle aucune révolte, le vieil homme exprime tout simplement la réalité de son vécu. “C'est notre mektoub. La réalité est bien plus noire que vous n'osez l’imaginer : mes fils ne font rien, ils ne trouvent pas de travail, mes petits enfants ne vont pas à l'école car elle est trop loin et on s'endort tous les soirs la faim au ventre”, poursuit à voix basse, le sexagénaire à la peau très basanée. “Ce qui nous désespère le plus, c'est que nous avons eu beaucoup d'espoir avec l'avènement de Mohammed VI.
On a cru que notre isolement allait prendre fin, qu'on allait nous envoyer des gens du “makhzen” qui comprendraient enfin nos problèmes et finiraient par nous aider à rattraper le temps perdu”.


Brahim regrette presque de s'être emporté. Ici, le makhzen, dans sa version la plus hard, a encore de beaux jours devant lui. La peur des autorités est telle que les gens n'osent même pas s'approcher d'une administration pour demander le moindre document officiel. “Nous avons les pires difficultés pour amener les gens à engager des procédures administratives légales pour demander un extrait d'acte de naissance, faire une requête, enregistrer une demande”, explique ce militant associatif.

Un Makhzen virtuel et pesant
En fait d'administration, les habitants ont à faire à deux secrétaires fantômes à la commune (sans salaire depuis trois mois), un président qui habite à deux cents kilomètres, dans une confortable oasis à Rissani, un postier, un infirmier dépourvu

du minimum vital et deux gendarmes qui se rendent au village l'espace de quelques heures avec une cadence de deux fois par mois. Ce makhzen virtuel n'en est pas moins particulièrement pesant dès qu'on a affaire à lui. “Les gens se sont rendu compte que le recours à l'administration pour régler leurs litiges leur coûtait trop cher, alors ils sont revenus au droit coutumier et ils règlent leurs problèmes en ayant recours à l'arbitrage des chouyoukhs”, rappelle cet universitaire issu de la région.

Si ce système a du bon pour réguler les tensions sociales, ses côtés positifs sont largement battus en brèche par le poids des traditions et l'archaïsme des structures mentales. Les jeunes et les femmes en souffrent particulièrement. “J'ai été marié à dix-sept ans, ma femme n'en a guère plus de 15, je ne la connaissais ni d'Eve ni d'Adam”, se désole ce jeune homme qui a toujours rêvé d'un autre avenir que celui d'époux malgré lui.

Les mariages précoces sont d'ailleurs
le lot aussi bien des filles que des garçons. La Moudawana ? Connais pas. “Avec le système makhzénien, la corruption qui sévit dans l'administration et l'autorité des chefs de tribus, les nouvelles dispositions de la Moudawana, ne sont tout bonnement pas appliquées. Et les juges, soit par paresse, soit par collusion, continuent à autoriser les mariages précoces”, rappelle Alaoui Bachir, un militant associatif qui explique que, de toute façon, les filles sont soumises à la réclusion dès l'âge de 14 ans et, pour la plupart, interdites d'école.

Les femmes, souffre-douleur
Il est vrai que les associations font un travail remarquable au niveau de la lutte contre l'analphabétisme et l'abandon scolaire mais constatent qu’elles n’ont aucun moyen de forcer les parents à envoyer leurs filles à l'école. La situation des femmes est paradoxale dans la mesure où elles constituent pourtant un pilier important dans la pérennité des ménages. “En effet, en plus des corvéesdomestiques, 80% des femmes rurales participent aux travaux des champs, bien entendu sans aucun droit de regard sur les recettes et leur affectation. Les femmes vivent dans un état de quasi-esclavage”, s'indigne cet instituteur qui reconnaît n'avoir qu'un seul rêve, “quitter ce village maudit et oublier à jamais le silence de la nuit et la solitude des journées”.

Dans ce palmarès de l'exclusion, les paysans ne sont pas mieux lotis. Il fut un temps où les cultures de dattes nobles, l'exploitation du henné, du gombo, du cumin, des plantes aromatiques et médicinales et l'élevage de caprins faisaient la richesse de la région. La proximité du désert procure certes un doux sentiment de quiétude pour le citadin stressé mais pour les habitants, ce maudit désert est sournois, vicieux : “Il vous endort avec le sifflement de son vent pour mieux envelopper vos palmiers, pour étouffer vos fleurs de cumin ou faire disparaître les rares végétations qui servent de menu à voschèvres”, se désole ce vieux chef de famille qui résiste pour ne pas quitter le village comme la majorité de ses voisins.

Beaucoup de maisons sont abandonnées par des familles qui renouent avec le nomadisme pour partir à la recherche de contrées plus accueillantes. Quant aux jeunes, ils ne rêvent pas d'émigrer pour l'Italie. ils prennent juste la route pour Rissani ou Errachidia. Les plus courageux poussent jusqu'à Marrakech, Agadir ou même Casablanca. Comme le bâtiment a besoin de bras, c'est d'ailleurs cette région qui fournit le gros des maçons qui triment dans la construction des hôtels cinq étoiles et autres villas de luxe, pour beaucoup moins que le smig. “J'ai deux fils, que Dieu les protège, qui travaillent dans le bâtiment à Casablanca”, précise ce vieillard qui explique fièrement que ces enfants lui envoient chaque mois la totalité de leur salaire ! Et crèvent la dalle.

Tel Quel
vision-maroc.com

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