Un nouvel état du monde
Conflits, commerce, environnement...
Symptômes : censée réguler les relations internationales, l'Organisation des nations unies peine à mettre sur pied la force d'interposition au Liban tant la politique menée par Washington et ses alliés, à travers la « guerre au terrorisme », ne fait qu'exacerber les conflits ; de son côté, l'Iran lance un défi au Conseil de sécurité, en l'invitant à des « négociations sérieuses » sur le nucléaire. Le monde devient chaque jour plus incertain. De nouveaux acteurs émergent, notamment en Asie, des questions se font plus pressantes : injustice sociale, pauvreté, flux migratoires, commerce, environnement. Le cours de ce qu'on appelle la mondialisation semble prendre un tournant.
Archives — Septembre 2006 / http://www.monde-diplomatique.fr/
Par Ignacio Ramonet
Tragiques flambées estivales dans l'incendie permanent du plus vieux conflit de la planète, les récentes hostilités à Gaza et au Liban témoignent à leur façon des caractéristiques du nouvel état du monde, cinq ans après les attentats du 11-Septembre. Déduits de ce contexte, et en guise d'esquisse cartographique pour aider à se repérer dans les labyrinthes de l'actualité, voici, en quatre remarques générales et dix brèves considérations, quelques modestes éléments d'orientation.
Première remarque générale
Le phénomène central de notre époque, la globalisation économique, ne semble pas avoir pesé, directement, sur ces affrontements proche-orientaux. Ni pour les déclencher, ni pour les attiser, ni pour les apaiser.
Ce qui confirmerait deux postulats : le caractère archaïque de cette guerre où se mêlent, comme au XIXe siècle, disputes territoriales, crispations nationalistes et passions religieuses ; et l'erreur de l'idéologie libérale de croire que le simple accroissement des échanges est générateur de paix.
Deuxième remarque générale
Le fait que, une fois encore, le Proche-Orient se trouve sous les projecteurs des médias ne doit point faire oublier l'importance stratégique de l'Asie, où se joue en grande partie la destinée du XXIe siècle. En raison du poids grandissant des deux géants, Inde et Chine. Et vu que les dangers d'affrontement n'y sont pas négligeables entre la Chine et Taïwan, la Corée du Nord et le Japon, l'Inde et le Pakistan...
Ne pas négliger non plus l'Afrique subsaharienne, où, comme dans une marmite à pression, s'accumulent des problèmes de tous ordres (dont celui de la misère extrême et des migrants clandestins) qui finiront par exploser à la face des pays riches.
Troisième remarque générale
La guerre nucléaire redevient l'une des deux menaces majeures pesant sur le monde (l'autre étant la catastrophe écologique). Israël, qui durant les combats récents a peiné à s'imposer clairement par des moyens militaires conventionnels, possède l'arme suprême mais n'a pas adhéré au traité de non-prolifération nucléaire, à l'instar de deux autres Etats nucléaires rivaux : le Pakistan et l'Inde. Non loin de ce théâtre, trois puissances atomiques sont engagées militairement et éprouvent des déboires : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. Les deux premières en Irak et en Afghanistan, la troisième en Tchétchénie. De surcroît, la plus importante alliance militaire, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), dont fait partie la France (elle-même puissance atomique), combat aussi en Afghanistan.
Si des dangers de choc nucléaire existent ailleurs – dans la péninsule coréenne et dans le détroit de Taïwan (1) –, la zone allant des frontières occidentales de l'Inde jusqu'au canal de Suez concentre l'arsenal le plus dévastateur de tous les temps. A l'exception de la Chine, toutes les grandes puissances y sont militairement actives. Une simple étincelle peut produire la déflagration...
C'est pourquoi la gestion des crises qui s'y succèdent requiert une expertise dont seule l'Organisation des Nations unies (ONU) détient la clé. Mais, comme cela vient d'être démontré au Liban, l'ONU, dans sa configuration actuelle, demeure à la fois indispensable et désespérément impuissante face aux grands contentieux contemporains. Quant à l'Union européenne, forte de sa très longue histoire de désastres guerriers, elle constituerait le meilleur des médiateurs... si elle ne demeurait pas un nain politique.
Quatrième remarque générale
Pour comprendre les stratégies à l'œuvre aujourd'hui, il convient de bien distinguer les trois échiquiers sur lesquels se joue notre avenir :
– le militaire, où dominent les Etats-nations conditionnés par le facteur territorial et par des cycles électoraux courts (ce qui les rend peu aptes à aborder les problèmes de long terme et planétaires). Où la suprématie des Etats-Unis est totale, ainsi que leur volonté d'imposer un monde unipolaire ;
– l'économique et commercial, où fonctionnent les logiques de la mondialisation définies par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation mondiale du commerce (OMC)... Où règnent les sociétés privées et les intérêts financiers dans une multiplication des échanges qui laisse entrevoir la perspective d'un monde multipolaire ;
– l'écologique et social, où s'accumulent les problèmes sur trois niveaux. Celui de l'environnement (changement climatique, effet de serre, pollution, déforestation, eau potable, biodiversité. Celui du besoin de nouvelles règles internationales (pour lutter contre l'injustice de l'ordre mondial, pour gérer les migrations, l'usage des organismes génétiquement modifiés, la propriété intellectuelle, les recherches en génétique, l'évasion fiscale, les délinquances modernes). Et celui du destin des populations de la Terre (Afrique, pandémies, misère, fracture numérique, mégapoles, faim, éducation, travail, catastrophes naturelles). Où prédominent les pauvres, les désordres, les détresses et le chaos.
Entre ces trois échiquiers, les articulations sont aléatoires. Souvent évidentes, parfois inexistantes, dans certains cas énigmatiques.
Outre ces remarques générales, quelques prudentes considérations peuvent être tirées du récent choc au Proche-Orient.
Première considération
Ce nouvel embrasement apporte une confirmation de caractère géopolitique : cette région-poudrière occupe bien, depuis la guerre du Golfe en 1991, l'épicentre de l'actuel « foyer perturbateur » mondial. Depuis 1914 et jusqu'à la fin de la guerre froide, ce foyer se situait en Europe. Il englobe désormais une aire géographique où l'islam est la religion dominante et où sont localisés, du Pakistan à l'Egypte, la plupart des grands affrontements : Cachemire, Afghanistan, Tchétchénie, Caucase, Kurdistan, Irak, Liban, Palestine, Somalie, Darfour...
Cette zone cumule aussi de fortes tensions internationales : différend entre le Pakistan et l'Inde à propos du Cachemire ; menaces sur l'Iran, suspecté de vouloir l'arme nucléaire ; pressions de la Russie en Transcaucasie ; craintes de la Turquie à propos du Kurdistan irakien ; nombreux litiges pour le contrôle de l'eau douce ; convoitises suscitées par l'existence, au cœur d'un vaste triangle formé par le Golfe, l'Iran et la mer Noire, des principales réserves d'hydrocarbures.
Deuxième considération
S'il est indiscutable qu'Israël a le droit de se défendre, la démesure des châtiments infligés aux civils palestiniens et libanais ne traduit paradoxalement qu'une sorte de folle impuissance. Pour une raison simple, que des Américains eux-mêmes commencent à comprendre et que l'ancien président William Clinton exprime ainsi : « Nous ne pouvons pas tuer tous nos ennemis (2). » Ceux d'Israël dans la région étant légion.
Dans une guerre asymétrique, une supériorité militaire écrasante ne garantit aucunement la victoire. Les Etats-Unis en refont l'amère expérience. « J'ai bien peur que l' Irak ne devienne notre pire désastre depuis le Vietnam », redoute l'ex-secrétaire d'Etat Madeleine Albright (3).
Recourir à un militarisme excessif ne rapproche pas de la solution politique, tant que la paix – seule garantie de la sécurité d'Israël – ne sera pas gagnée. Et la paix passe toujours par des négociations avec l'ennemi.
Troisième considération
Le front médiatique apparaît plus décisif que jamais. Mais le contexte de l'information s'est métamorphosé. Le pilonnage israélien de centrales électriques, de relais téléphoniques et de stations de télévision (Al-Manar, en particulier ( 4)), pour rendre aveugle, sourd et muet le système de communication de l'adversaire, s'est révélé inefficace.
Les portables, les caméras miniaturisées et les blogs de combattants ou de témoins oculaires permettent désormais une diffusion globale quasi instantanée d'images dénonciatrices. Aussi intenses soient-ils, des bombardements ne peuvent détruire les mailles d'Internet, conçu pour résister au feu nucléaire. Là encore, les Israéliens semblent ne pas avoir tiré la leçon des déconvenues américaines en Irak après la diffusion des scènes d'Abou Ghraib et d'autres témoignages atterrants. Ni de l'effondrement de l'image des Etats-Unis aux yeux de l'opinion publique mondiale ( 5).
Quatrième considération
Dans cette région, la démocratie, que Washington assure vouloir instaurer partout (6), ne constitue en rien un bouclier contre les attaques d'Israël, Etat lui-même démocratique... Prise au mot par les Palestiniens, seuls citoyens arabes du Proche-Orient – avec les Libanais – à avoir voté démocratiquement, en janvier 2006, en élisant le Hamas, l'administration Bush a fermé les yeux, laissé massacrer des (mauvais) démocrates et laissé emprisonner leurs élus à Gaza. « Une opération qui tue cinq insurgés est contre-productive si ses effets collatéraux entraînent le recrutement de cinquante nouveaux rebelles », rappelle William Pfaff (7). Les excès finissant par créer ce que Mao Zedong appelait « la mer où nagent les combattants de la guérilla ».
Comme en Palestine et au Liban, dans l'ensemble du « foyer perturbateur », l'islamisme radical est en expansion. Sous ses diverses composantes, et malgré toutes les réserves qu'il peut inspirer, il constitue la principale force politique qui s'oppose par les armes à la domination des Etats-Unis. En tant qu'idéologie messianique pour le succès futur de laquelle les militants sont disposés à faire le sacrifice de leur vie, l'islamisme radical prend en partie la place de ce que furent, par exemple, au XIXe et au XXe siècle, l'anarchisme ou le communisme. Même si cette comparaison peut choquer...
Quand, ailleurs, la violence politique recule (8), en Afghanistan, où les talibans sont de retour et les forces de l'OTAN sur la défensive, en Somalie, en Irak, en Palestine et au Liban, le courant salafiste a le vent en poupe.
Cinquième considération
Le pouvoir des organisations non étatiques ne cesse de s'accroître. En particulier celui des organisations non gouvernementales à caractère humanitaire, écologique, social ou juridique, parfois instrumentalisées, pas toujours désintéressées. Mais, au sein du « foyer perturbateur », pullulent spécialement les organisations non étatiques armées qui jouent un rôle déterminant dans les multiples antagonismes. En témoignent l'audacieux coup de main de la branche armée du Hamas à Gaza, le 25 juin, et celui des milices du Hezbollah au Liban, le 12 juillet, qui ont entraîné les ripostes d'Israël.
A noter : quelque part dans cette zone se situe le quartier général de l'« ennemi public no 1 » des Etats-Unis, l'organisation islamiste armée Al-Qaida, dirigée par M. Oussama Ben Laden, qui a revendiqué les attentats du 11 septembre 2001. Et à l'encontre de laquelle Washington a déclenché l'actuelle « guerre infinie contre le terrorisme international ».
Sixième considération
Ces événements du 11-Septembre nous ont effectivement fait entrer dans une ère nouvelle. Le président américain George W. Bush et son entourage ayant estimé que l'effroi collectif causé par cette tragédie leur donnait enfin carte blanche pour mettre en application de vieux délires géopolitiques.
Rappelons-en trois : revendication du rôle « impérial » des Etats-Unis dans la conduite des affaires du monde ; assimilation de toute lutte de résistance nationale (dont celles du Hamas et du Hezbollah) à du « terrorisme » ; et priorité accordée à la surveillance généralisée des citoyens aux dépens de leurs libertés (lire « Etat d'urgence permanent ».
Au nom de ce corps de doctrine, la Central Intelligence Agency (CIA) et d'autres services de renseignement ont été autorisés à « liquider » des suspects ou à les enlever partout pour les conduire dans des prisons secrètes. Au mépris des conventions de Genève et en dehors de tout cadre juridique, le bagne de Guantánamo fut créé pour enfermer et maltraiter des personnes suspectées de liens avec Al-Qaida...
Sur la base de mensonges (en réalité pour mettre la main sur le pétrole), l'Irak, qui n'était en rien impliqué dans les attentats du 11-Septembre et ne détenait nulle « arme de destruction massive », fut envahi. Dans un élan wilsonien, Washington se déclara prêt à redessiner le « Grand Moyen-Orient ». Rien de moins.
De ces absurdes ambitions, on sait ce qu'il est advenu. Le monde est aujourd'hui plus dangereux. Et un nouveau méga-attentat n'est pas improbable. Quant à la redoutable machine militaire, la voilà embourbée en Irak, piégée par une guerre asymétrique perdue, réduite à pratiquer ou à couvrir des atrocités (rafles de civils, massacres, tortures systématiques (9) qu'elle prétendait avoir bannies depuis le naufrage du Vietnam (10).
L'échec politique est encore plus sidérant. Par la grâce des interventions américaines, l'Iran, principal ennemi régional des Etats-Unis, s'est retrouvé débarrassé de ses rivaux frontaliers : le régime des talibans en Afghanistan, celui de M. Saddam Hussein en Irak (11). Et Téhéran s'arme désormais pour se défendre. D'autre part, pendant que Washington était fixé sur cette région, en Amérique latine, sa propre arrière-cour, ses vieux adversaires en profitaient pour prendre démocratiquement le pouvoir, au Venezuela, au Brésil, en Argentine, en Uruguay, au Chili, au Panamá, en République dominicaine, en Bolivie... Une marée rose ou rouge inédite qui, de surcroît, est venue naturellement conforter Cuba.
Au cours de ces années, M. Bush a cru pouvoir ramener les problèmes du monde au seul terrorisme et traiter le terrorisme par la seule répression militaire. Il s'est trompé. Et a foulé aux pieds tellement de principes, violé tellement de droits que Noam Chomsky va jusqu'à parler d' « administration la plus dangereuse de l'histoire américaine », n'hésitant pas à qualifier son pays de « principal Etat terroriste (12) » de la planète.
Septième considération
La guerre d'Irak coûte très cher. En 2005, les dépenses militaires des Etats-Unis ont atteint les 500 milliards de dollars ( 13), soit autant que le reste du monde. C'est énorme. Surtout que, conséquence de la mondialisation, leur système économique ne repose plus seulement sur leur capacité manufacturière mais également sur la consommation. L'Amérique agit comme une pompe à finances, important du capital au rythme de 700 à 800 milliards de dollars par an. Capital qui finance la consommation de biens importés.
Un tel pompage de l'argent mondial disponible crée une situation intenable. Le déficit commercial américain pèse sur les finances internationales au risque d'entraîner une baisse du dollar, une hausse des taux d'intérêt, une chute des Bourses ( 14) et une récession mondiale. C'est l'un des principaux problèmes (invisible) d'aujourd'hui.
Huitième considération
Evalué à près de 700 milliards de dollars, le déficit américain profite aux pays à main-d'œuvre bon marché. Au premier rang desquels la Chine (15), mais aussi d'autres pays émergents (Inde, Corée du Sud, Taïwan, Brésil, Mexique) dont l'expansion économique commence à préoccuper les puissances dominantes. D'autant que les cours des matières premières (dont ceux du pétrole) flambent, pour le plus grand bénéfice de la Russie, du Kazakhstan, du Venezuela, du Chili, de l'Algérie...
La concurrence des entreprises de ces pays devient plus menaçante. Il existe déjà quelque vingt-cinq multinationales globales dans les Etats du Sud, et bientôt on en comptera une centaine. Les offres spectaculaires de rachat, comme celle, repoussée, du chinois National Offshore Oil sur le pétrolier américain Unocal, ou celle, réussie, de l'indien Mittal Steel sur le sidérurgiste européen Arcelor, vont se multiplier ( 16).
On peut par conséquent parier que la mondialisation approche d'une fin de cycle. Sur sa lancée actuelle, elle pourrait menacer la domination des vieilles puissances de toujours. Une nouvelle période de protectionnisme n'est donc plus à exclure.
Neuvième considération
Les combats entre Israël et le Liban ont donné lieu au déplacement forcé d'environ 1,2 million de personnes (900 000 Libanais et 300 000 Israéliens). De tels déplacements pour cause de guerre restent ponctuels. En revanche, les migrations internationales de main-d'œuvre sont structurelles et touchent 175 millions de personnes. Car, à cause des gains de productivité, la croissance économique, quand elle existe, peut créer de la richesse mais plus assez d'emplois. Même la Chine, qui bénéficie de taux de croissance de plus de 9 %, ne crée qu'environ 10 millions d'emplois par an – deux fois moins que le nombre de personnes entrant sur son marché du travail ( 17)...
Les autres doivent se résigner à la pauvreté, ou alors émigrer. Mais clandestinement. Parce que « l'économie de marché, constate l'historien Eric Hobsbawm, favorise la libre circulation de tous les moyens de production. A l'exception de la main-d'œuvre, qui reste largement sous le contrôle de l'Etat (18) ». Des cohortes de personnes, souvent jeunes et en bonne santé, tentent de pénétrer au péril de leur vie (on l'a vu à Melilla, on le voit aux Canaries) dans les rares îlots de prospérité de la planète. Plus de 20 millions d'entre elles ont réussi à le faire aux Etats-Unis ( 19), où, comme en Europe, la question des sans-papiers est désormais traitée en termes de sécurité nationale. La bombe de l'immigration illégale n'a pourtant pas encore éclaté. Ce grand drame humain va mettre à rude épreuve toutes les sociétés développées.
Dixième considération
Le 14 juillet 2006, l'aviation israélienne a bombardé les réservoirs de fioul de la centrale électrique de Jiyyeh, au sud de Beyrouth. Près de 15 000 tonnes de mazout se sont déversées en mer. Début août, la marée noire touchait un tiers des plages libanaises, atteignait les côtes syriennes et menaçait Chypre, la Syrie, la Turquie, la Grèce... et Israël (20 ).
Cette catastrophe écologique, « effet collatéral » des hostilités, rappelle que les problèmes liés à l'environnement vont devenir hautement stratégiques. Au sommet du G8 à Gleneagles, en juillet 2005, la lutte contre le réchauffement de la planète était déjà l'un des thèmes de la réunion. Avec quelques degrés de plus en moyenne, la Terre ne serait plus la même planète. Le relèvement du niveau des mers entraînerait des catastrophes inédites. Des corrections drastiques s'imposent. Alors qu'approche l'instant où l'on ne pourra plus extraire assez d'hydrocarbures – dont la consommation aggrave l'effet de serre – pour répondre à la demande.
Dans ce court panorama du nouvel état du monde, ces enjeux – alerte sur le climat et fin de l'ère du pétrole – s'annoncent, pour l'humanité, comme deux des défis majeurs à relever.
Ignacio Ramonet.
(1) Le 15 juillet 2005, le général chinois Zhu Chenghu, responsable de l'institut de la défense nationale à Pékin, n'a pas exclu que la Chine puisse procéder à une frappe nucléaire contre les Etats-Unis si ses intérêts à l'égard de Taïwan étaient menacés. Cf. Martine Bulard, « La Chine bouscule l'ordre mondial », Le Monde diplomatique, août 2005.
(2) Le Monde, 10 août 2005.
(3) Newsweek, New York, 24 juillet 2006.
(4) Chaîne du Hezbollah chiite libanais.
(5) International Herald Tribune, Paris, 14 juin 2006.
(6) Au nom du postulat cher aux néoconservateurs que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Cela supposerait qu'Israël coexisterait pacifiquement avec une Palestine démocratique. Tel-Aviv vient pourtant de démontrer le contraire. Et les faits prouvent que Washington s'accommode des pires « autocraties amies » (Egypte, Arabie saoudite, Jordanie, Azerbaïdjan, Pakistan), jamais qualifiées de « bastions avancés de la tyrannie », mais qui jettent leur population appauvrie, réprimée et lasse de la corruption dans les bras des organisations islamistes radicales.
(7) Le Monde, 19 juillet 2006.
(8) Le rapport « Guerre et paix au XXIe siècle », publié par le Human Security Center de l'université de Colombie britannique à Vancouver (Canada), note une réduction du nombre de conflits depuis la fin de la guerre froide. Au sein de l'Union européenne, les deux organisations armées les plus meurtrières, l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et l'Euskadi ta Askatasuna (ETA) basque, ont décidé d'abandonner la lutte armée. L'IRA a ordonné à ses militants, le 28 juillet 2005, de « déposer les armes », et l'ETA a annoncé, le 22 mars 2006, un « cessez-le-feu permanent ».
(9) Un rapport de Human Rights Watch estime que « la torture des prisonniers en Irak était autorisée par l'armée américaine ». Le Monde, 25 juillet 2006.
(10) Le Los Angeles Times a révélé, le 6 août 2006, que les atrocités commises par les Américains au Vietnam ont été plus nombreuses qu'on ne le pensait.
(11) Cf. Joe Klein, « The Iran factor », Time , New York, 24 juillet 2006.
(12) Le Point, Paris, 20 juillet 2006.
(13) Ils n'ont consacré à l'aide au développement que 18 milliards, soit 0,16 % du produit intérieur brut (PIB) !
(14) La simple crainte de voir les banques centrales relever les taux d'intérêt a occasionné, le 21 mai 2006, une spectaculaire chute des principales Bourses dans le monde.
(15) En 2005, les Etats-Unis ont exporté en Chine pour 47,8 milliards de dollars, tandis qu'ils importaient de ce pays pour 201,6 milliards, soit un avantage de 153,8 milliards pour Pékin, qui détient en outre 320 milliards de bons du Trésor américains.
(16) Cf. Capital, Paris, août 2006.
(17) Le Figaro, Paris, 20 juin 2006.
(18) L'Express, Paris, 8 juin 2006.
(19) International Herald Tribune, Paris, 29 juin 2006.
(20) Cf. Caroline Pailhe, « Israël, Palestine, Liban. Le chemin le plus long vers la paix », Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP), Bruxelles, 8 août 2006.
5.6.07 14:54
Symptômes : censée réguler les relations internationales, l'Organisation des nations unies peine à mettre sur pied la force d'interposition au Liban tant la politique menée par Washington et ses alliés, à travers la « guerre au terrorisme », ne fait qu'exacerber les conflits ; de son côté, l'Iran lance un défi au Conseil de sécurité, en l'invitant à des « négociations sérieuses » sur le nucléaire. Le monde devient chaque jour plus incertain. De nouveaux acteurs émergent, notamment en Asie, des questions se font plus pressantes : injustice sociale, pauvreté, flux migratoires, commerce, environnement. Le cours de ce qu'on appelle la mondialisation semble prendre un tournant.
Archives — Septembre 2006 / http://www.monde-diplomatique.fr/
Par Ignacio Ramonet
Tragiques flambées estivales dans l'incendie permanent du plus vieux conflit de la planète, les récentes hostilités à Gaza et au Liban témoignent à leur façon des caractéristiques du nouvel état du monde, cinq ans après les attentats du 11-Septembre. Déduits de ce contexte, et en guise d'esquisse cartographique pour aider à se repérer dans les labyrinthes de l'actualité, voici, en quatre remarques générales et dix brèves considérations, quelques modestes éléments d'orientation.
Première remarque générale
Le phénomène central de notre époque, la globalisation économique, ne semble pas avoir pesé, directement, sur ces affrontements proche-orientaux. Ni pour les déclencher, ni pour les attiser, ni pour les apaiser.
Ce qui confirmerait deux postulats : le caractère archaïque de cette guerre où se mêlent, comme au XIXe siècle, disputes territoriales, crispations nationalistes et passions religieuses ; et l'erreur de l'idéologie libérale de croire que le simple accroissement des échanges est générateur de paix.
Deuxième remarque générale
Le fait que, une fois encore, le Proche-Orient se trouve sous les projecteurs des médias ne doit point faire oublier l'importance stratégique de l'Asie, où se joue en grande partie la destinée du XXIe siècle. En raison du poids grandissant des deux géants, Inde et Chine. Et vu que les dangers d'affrontement n'y sont pas négligeables entre la Chine et Taïwan, la Corée du Nord et le Japon, l'Inde et le Pakistan...
Ne pas négliger non plus l'Afrique subsaharienne, où, comme dans une marmite à pression, s'accumulent des problèmes de tous ordres (dont celui de la misère extrême et des migrants clandestins) qui finiront par exploser à la face des pays riches.
Troisième remarque générale
La guerre nucléaire redevient l'une des deux menaces majeures pesant sur le monde (l'autre étant la catastrophe écologique). Israël, qui durant les combats récents a peiné à s'imposer clairement par des moyens militaires conventionnels, possède l'arme suprême mais n'a pas adhéré au traité de non-prolifération nucléaire, à l'instar de deux autres Etats nucléaires rivaux : le Pakistan et l'Inde. Non loin de ce théâtre, trois puissances atomiques sont engagées militairement et éprouvent des déboires : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. Les deux premières en Irak et en Afghanistan, la troisième en Tchétchénie. De surcroît, la plus importante alliance militaire, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), dont fait partie la France (elle-même puissance atomique), combat aussi en Afghanistan.
Si des dangers de choc nucléaire existent ailleurs – dans la péninsule coréenne et dans le détroit de Taïwan (1) –, la zone allant des frontières occidentales de l'Inde jusqu'au canal de Suez concentre l'arsenal le plus dévastateur de tous les temps. A l'exception de la Chine, toutes les grandes puissances y sont militairement actives. Une simple étincelle peut produire la déflagration...
C'est pourquoi la gestion des crises qui s'y succèdent requiert une expertise dont seule l'Organisation des Nations unies (ONU) détient la clé. Mais, comme cela vient d'être démontré au Liban, l'ONU, dans sa configuration actuelle, demeure à la fois indispensable et désespérément impuissante face aux grands contentieux contemporains. Quant à l'Union européenne, forte de sa très longue histoire de désastres guerriers, elle constituerait le meilleur des médiateurs... si elle ne demeurait pas un nain politique.
Quatrième remarque générale
Pour comprendre les stratégies à l'œuvre aujourd'hui, il convient de bien distinguer les trois échiquiers sur lesquels se joue notre avenir :
– le militaire, où dominent les Etats-nations conditionnés par le facteur territorial et par des cycles électoraux courts (ce qui les rend peu aptes à aborder les problèmes de long terme et planétaires). Où la suprématie des Etats-Unis est totale, ainsi que leur volonté d'imposer un monde unipolaire ;
– l'économique et commercial, où fonctionnent les logiques de la mondialisation définies par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation mondiale du commerce (OMC)... Où règnent les sociétés privées et les intérêts financiers dans une multiplication des échanges qui laisse entrevoir la perspective d'un monde multipolaire ;
– l'écologique et social, où s'accumulent les problèmes sur trois niveaux. Celui de l'environnement (changement climatique, effet de serre, pollution, déforestation, eau potable, biodiversité. Celui du besoin de nouvelles règles internationales (pour lutter contre l'injustice de l'ordre mondial, pour gérer les migrations, l'usage des organismes génétiquement modifiés, la propriété intellectuelle, les recherches en génétique, l'évasion fiscale, les délinquances modernes). Et celui du destin des populations de la Terre (Afrique, pandémies, misère, fracture numérique, mégapoles, faim, éducation, travail, catastrophes naturelles). Où prédominent les pauvres, les désordres, les détresses et le chaos.
Entre ces trois échiquiers, les articulations sont aléatoires. Souvent évidentes, parfois inexistantes, dans certains cas énigmatiques.
Outre ces remarques générales, quelques prudentes considérations peuvent être tirées du récent choc au Proche-Orient.
Première considération
Ce nouvel embrasement apporte une confirmation de caractère géopolitique : cette région-poudrière occupe bien, depuis la guerre du Golfe en 1991, l'épicentre de l'actuel « foyer perturbateur » mondial. Depuis 1914 et jusqu'à la fin de la guerre froide, ce foyer se situait en Europe. Il englobe désormais une aire géographique où l'islam est la religion dominante et où sont localisés, du Pakistan à l'Egypte, la plupart des grands affrontements : Cachemire, Afghanistan, Tchétchénie, Caucase, Kurdistan, Irak, Liban, Palestine, Somalie, Darfour...
Cette zone cumule aussi de fortes tensions internationales : différend entre le Pakistan et l'Inde à propos du Cachemire ; menaces sur l'Iran, suspecté de vouloir l'arme nucléaire ; pressions de la Russie en Transcaucasie ; craintes de la Turquie à propos du Kurdistan irakien ; nombreux litiges pour le contrôle de l'eau douce ; convoitises suscitées par l'existence, au cœur d'un vaste triangle formé par le Golfe, l'Iran et la mer Noire, des principales réserves d'hydrocarbures.
Deuxième considération
S'il est indiscutable qu'Israël a le droit de se défendre, la démesure des châtiments infligés aux civils palestiniens et libanais ne traduit paradoxalement qu'une sorte de folle impuissance. Pour une raison simple, que des Américains eux-mêmes commencent à comprendre et que l'ancien président William Clinton exprime ainsi : « Nous ne pouvons pas tuer tous nos ennemis (2). » Ceux d'Israël dans la région étant légion.
Dans une guerre asymétrique, une supériorité militaire écrasante ne garantit aucunement la victoire. Les Etats-Unis en refont l'amère expérience. « J'ai bien peur que l' Irak ne devienne notre pire désastre depuis le Vietnam », redoute l'ex-secrétaire d'Etat Madeleine Albright (3).
Recourir à un militarisme excessif ne rapproche pas de la solution politique, tant que la paix – seule garantie de la sécurité d'Israël – ne sera pas gagnée. Et la paix passe toujours par des négociations avec l'ennemi.
Troisième considération
Le front médiatique apparaît plus décisif que jamais. Mais le contexte de l'information s'est métamorphosé. Le pilonnage israélien de centrales électriques, de relais téléphoniques et de stations de télévision (Al-Manar, en particulier ( 4)), pour rendre aveugle, sourd et muet le système de communication de l'adversaire, s'est révélé inefficace.
Les portables, les caméras miniaturisées et les blogs de combattants ou de témoins oculaires permettent désormais une diffusion globale quasi instantanée d'images dénonciatrices. Aussi intenses soient-ils, des bombardements ne peuvent détruire les mailles d'Internet, conçu pour résister au feu nucléaire. Là encore, les Israéliens semblent ne pas avoir tiré la leçon des déconvenues américaines en Irak après la diffusion des scènes d'Abou Ghraib et d'autres témoignages atterrants. Ni de l'effondrement de l'image des Etats-Unis aux yeux de l'opinion publique mondiale ( 5).
Quatrième considération
Dans cette région, la démocratie, que Washington assure vouloir instaurer partout (6), ne constitue en rien un bouclier contre les attaques d'Israël, Etat lui-même démocratique... Prise au mot par les Palestiniens, seuls citoyens arabes du Proche-Orient – avec les Libanais – à avoir voté démocratiquement, en janvier 2006, en élisant le Hamas, l'administration Bush a fermé les yeux, laissé massacrer des (mauvais) démocrates et laissé emprisonner leurs élus à Gaza. « Une opération qui tue cinq insurgés est contre-productive si ses effets collatéraux entraînent le recrutement de cinquante nouveaux rebelles », rappelle William Pfaff (7). Les excès finissant par créer ce que Mao Zedong appelait « la mer où nagent les combattants de la guérilla ».
Comme en Palestine et au Liban, dans l'ensemble du « foyer perturbateur », l'islamisme radical est en expansion. Sous ses diverses composantes, et malgré toutes les réserves qu'il peut inspirer, il constitue la principale force politique qui s'oppose par les armes à la domination des Etats-Unis. En tant qu'idéologie messianique pour le succès futur de laquelle les militants sont disposés à faire le sacrifice de leur vie, l'islamisme radical prend en partie la place de ce que furent, par exemple, au XIXe et au XXe siècle, l'anarchisme ou le communisme. Même si cette comparaison peut choquer...
Quand, ailleurs, la violence politique recule (8), en Afghanistan, où les talibans sont de retour et les forces de l'OTAN sur la défensive, en Somalie, en Irak, en Palestine et au Liban, le courant salafiste a le vent en poupe.
Cinquième considération
Le pouvoir des organisations non étatiques ne cesse de s'accroître. En particulier celui des organisations non gouvernementales à caractère humanitaire, écologique, social ou juridique, parfois instrumentalisées, pas toujours désintéressées. Mais, au sein du « foyer perturbateur », pullulent spécialement les organisations non étatiques armées qui jouent un rôle déterminant dans les multiples antagonismes. En témoignent l'audacieux coup de main de la branche armée du Hamas à Gaza, le 25 juin, et celui des milices du Hezbollah au Liban, le 12 juillet, qui ont entraîné les ripostes d'Israël.
A noter : quelque part dans cette zone se situe le quartier général de l'« ennemi public no 1 » des Etats-Unis, l'organisation islamiste armée Al-Qaida, dirigée par M. Oussama Ben Laden, qui a revendiqué les attentats du 11 septembre 2001. Et à l'encontre de laquelle Washington a déclenché l'actuelle « guerre infinie contre le terrorisme international ».
Sixième considération
Ces événements du 11-Septembre nous ont effectivement fait entrer dans une ère nouvelle. Le président américain George W. Bush et son entourage ayant estimé que l'effroi collectif causé par cette tragédie leur donnait enfin carte blanche pour mettre en application de vieux délires géopolitiques.
Rappelons-en trois : revendication du rôle « impérial » des Etats-Unis dans la conduite des affaires du monde ; assimilation de toute lutte de résistance nationale (dont celles du Hamas et du Hezbollah) à du « terrorisme » ; et priorité accordée à la surveillance généralisée des citoyens aux dépens de leurs libertés (lire « Etat d'urgence permanent ».
Au nom de ce corps de doctrine, la Central Intelligence Agency (CIA) et d'autres services de renseignement ont été autorisés à « liquider » des suspects ou à les enlever partout pour les conduire dans des prisons secrètes. Au mépris des conventions de Genève et en dehors de tout cadre juridique, le bagne de Guantánamo fut créé pour enfermer et maltraiter des personnes suspectées de liens avec Al-Qaida...
Sur la base de mensonges (en réalité pour mettre la main sur le pétrole), l'Irak, qui n'était en rien impliqué dans les attentats du 11-Septembre et ne détenait nulle « arme de destruction massive », fut envahi. Dans un élan wilsonien, Washington se déclara prêt à redessiner le « Grand Moyen-Orient ». Rien de moins.
De ces absurdes ambitions, on sait ce qu'il est advenu. Le monde est aujourd'hui plus dangereux. Et un nouveau méga-attentat n'est pas improbable. Quant à la redoutable machine militaire, la voilà embourbée en Irak, piégée par une guerre asymétrique perdue, réduite à pratiquer ou à couvrir des atrocités (rafles de civils, massacres, tortures systématiques (9) qu'elle prétendait avoir bannies depuis le naufrage du Vietnam (10).
L'échec politique est encore plus sidérant. Par la grâce des interventions américaines, l'Iran, principal ennemi régional des Etats-Unis, s'est retrouvé débarrassé de ses rivaux frontaliers : le régime des talibans en Afghanistan, celui de M. Saddam Hussein en Irak (11). Et Téhéran s'arme désormais pour se défendre. D'autre part, pendant que Washington était fixé sur cette région, en Amérique latine, sa propre arrière-cour, ses vieux adversaires en profitaient pour prendre démocratiquement le pouvoir, au Venezuela, au Brésil, en Argentine, en Uruguay, au Chili, au Panamá, en République dominicaine, en Bolivie... Une marée rose ou rouge inédite qui, de surcroît, est venue naturellement conforter Cuba.
Au cours de ces années, M. Bush a cru pouvoir ramener les problèmes du monde au seul terrorisme et traiter le terrorisme par la seule répression militaire. Il s'est trompé. Et a foulé aux pieds tellement de principes, violé tellement de droits que Noam Chomsky va jusqu'à parler d' « administration la plus dangereuse de l'histoire américaine », n'hésitant pas à qualifier son pays de « principal Etat terroriste (12) » de la planète.
Septième considération
La guerre d'Irak coûte très cher. En 2005, les dépenses militaires des Etats-Unis ont atteint les 500 milliards de dollars ( 13), soit autant que le reste du monde. C'est énorme. Surtout que, conséquence de la mondialisation, leur système économique ne repose plus seulement sur leur capacité manufacturière mais également sur la consommation. L'Amérique agit comme une pompe à finances, important du capital au rythme de 700 à 800 milliards de dollars par an. Capital qui finance la consommation de biens importés.
Un tel pompage de l'argent mondial disponible crée une situation intenable. Le déficit commercial américain pèse sur les finances internationales au risque d'entraîner une baisse du dollar, une hausse des taux d'intérêt, une chute des Bourses ( 14) et une récession mondiale. C'est l'un des principaux problèmes (invisible) d'aujourd'hui.
Huitième considération
Evalué à près de 700 milliards de dollars, le déficit américain profite aux pays à main-d'œuvre bon marché. Au premier rang desquels la Chine (15), mais aussi d'autres pays émergents (Inde, Corée du Sud, Taïwan, Brésil, Mexique) dont l'expansion économique commence à préoccuper les puissances dominantes. D'autant que les cours des matières premières (dont ceux du pétrole) flambent, pour le plus grand bénéfice de la Russie, du Kazakhstan, du Venezuela, du Chili, de l'Algérie...
La concurrence des entreprises de ces pays devient plus menaçante. Il existe déjà quelque vingt-cinq multinationales globales dans les Etats du Sud, et bientôt on en comptera une centaine. Les offres spectaculaires de rachat, comme celle, repoussée, du chinois National Offshore Oil sur le pétrolier américain Unocal, ou celle, réussie, de l'indien Mittal Steel sur le sidérurgiste européen Arcelor, vont se multiplier ( 16).
On peut par conséquent parier que la mondialisation approche d'une fin de cycle. Sur sa lancée actuelle, elle pourrait menacer la domination des vieilles puissances de toujours. Une nouvelle période de protectionnisme n'est donc plus à exclure.
Neuvième considération
Les combats entre Israël et le Liban ont donné lieu au déplacement forcé d'environ 1,2 million de personnes (900 000 Libanais et 300 000 Israéliens). De tels déplacements pour cause de guerre restent ponctuels. En revanche, les migrations internationales de main-d'œuvre sont structurelles et touchent 175 millions de personnes. Car, à cause des gains de productivité, la croissance économique, quand elle existe, peut créer de la richesse mais plus assez d'emplois. Même la Chine, qui bénéficie de taux de croissance de plus de 9 %, ne crée qu'environ 10 millions d'emplois par an – deux fois moins que le nombre de personnes entrant sur son marché du travail ( 17)...
Les autres doivent se résigner à la pauvreté, ou alors émigrer. Mais clandestinement. Parce que « l'économie de marché, constate l'historien Eric Hobsbawm, favorise la libre circulation de tous les moyens de production. A l'exception de la main-d'œuvre, qui reste largement sous le contrôle de l'Etat (18) ». Des cohortes de personnes, souvent jeunes et en bonne santé, tentent de pénétrer au péril de leur vie (on l'a vu à Melilla, on le voit aux Canaries) dans les rares îlots de prospérité de la planète. Plus de 20 millions d'entre elles ont réussi à le faire aux Etats-Unis ( 19), où, comme en Europe, la question des sans-papiers est désormais traitée en termes de sécurité nationale. La bombe de l'immigration illégale n'a pourtant pas encore éclaté. Ce grand drame humain va mettre à rude épreuve toutes les sociétés développées.
Dixième considération
Le 14 juillet 2006, l'aviation israélienne a bombardé les réservoirs de fioul de la centrale électrique de Jiyyeh, au sud de Beyrouth. Près de 15 000 tonnes de mazout se sont déversées en mer. Début août, la marée noire touchait un tiers des plages libanaises, atteignait les côtes syriennes et menaçait Chypre, la Syrie, la Turquie, la Grèce... et Israël (20 ).
Cette catastrophe écologique, « effet collatéral » des hostilités, rappelle que les problèmes liés à l'environnement vont devenir hautement stratégiques. Au sommet du G8 à Gleneagles, en juillet 2005, la lutte contre le réchauffement de la planète était déjà l'un des thèmes de la réunion. Avec quelques degrés de plus en moyenne, la Terre ne serait plus la même planète. Le relèvement du niveau des mers entraînerait des catastrophes inédites. Des corrections drastiques s'imposent. Alors qu'approche l'instant où l'on ne pourra plus extraire assez d'hydrocarbures – dont la consommation aggrave l'effet de serre – pour répondre à la demande.
Dans ce court panorama du nouvel état du monde, ces enjeux – alerte sur le climat et fin de l'ère du pétrole – s'annoncent, pour l'humanité, comme deux des défis majeurs à relever.
Ignacio Ramonet.
(1) Le 15 juillet 2005, le général chinois Zhu Chenghu, responsable de l'institut de la défense nationale à Pékin, n'a pas exclu que la Chine puisse procéder à une frappe nucléaire contre les Etats-Unis si ses intérêts à l'égard de Taïwan étaient menacés. Cf. Martine Bulard, « La Chine bouscule l'ordre mondial », Le Monde diplomatique, août 2005.
(2) Le Monde, 10 août 2005.
(3) Newsweek, New York, 24 juillet 2006.
(4) Chaîne du Hezbollah chiite libanais.
(5) International Herald Tribune, Paris, 14 juin 2006.
(6) Au nom du postulat cher aux néoconservateurs que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Cela supposerait qu'Israël coexisterait pacifiquement avec une Palestine démocratique. Tel-Aviv vient pourtant de démontrer le contraire. Et les faits prouvent que Washington s'accommode des pires « autocraties amies » (Egypte, Arabie saoudite, Jordanie, Azerbaïdjan, Pakistan), jamais qualifiées de « bastions avancés de la tyrannie », mais qui jettent leur population appauvrie, réprimée et lasse de la corruption dans les bras des organisations islamistes radicales.
(7) Le Monde, 19 juillet 2006.
(8) Le rapport « Guerre et paix au XXIe siècle », publié par le Human Security Center de l'université de Colombie britannique à Vancouver (Canada), note une réduction du nombre de conflits depuis la fin de la guerre froide. Au sein de l'Union européenne, les deux organisations armées les plus meurtrières, l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et l'Euskadi ta Askatasuna (ETA) basque, ont décidé d'abandonner la lutte armée. L'IRA a ordonné à ses militants, le 28 juillet 2005, de « déposer les armes », et l'ETA a annoncé, le 22 mars 2006, un « cessez-le-feu permanent ».
(9) Un rapport de Human Rights Watch estime que « la torture des prisonniers en Irak était autorisée par l'armée américaine ». Le Monde, 25 juillet 2006.
(10) Le Los Angeles Times a révélé, le 6 août 2006, que les atrocités commises par les Américains au Vietnam ont été plus nombreuses qu'on ne le pensait.
(11) Cf. Joe Klein, « The Iran factor », Time , New York, 24 juillet 2006.
(12) Le Point, Paris, 20 juillet 2006.
(13) Ils n'ont consacré à l'aide au développement que 18 milliards, soit 0,16 % du produit intérieur brut (PIB) !
(14) La simple crainte de voir les banques centrales relever les taux d'intérêt a occasionné, le 21 mai 2006, une spectaculaire chute des principales Bourses dans le monde.
(15) En 2005, les Etats-Unis ont exporté en Chine pour 47,8 milliards de dollars, tandis qu'ils importaient de ce pays pour 201,6 milliards, soit un avantage de 153,8 milliards pour Pékin, qui détient en outre 320 milliards de bons du Trésor américains.
(16) Cf. Capital, Paris, août 2006.
(17) Le Figaro, Paris, 20 juin 2006.
(18) L'Express, Paris, 8 juin 2006.
(19) International Herald Tribune, Paris, 29 juin 2006.
(20) Cf. Caroline Pailhe, « Israël, Palestine, Liban. Le chemin le plus long vers la paix », Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP), Bruxelles, 8 août 2006.
5.6.07 14:54
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