samedi, janvier 27, 2007

l’Irak, hier, aujourd’hui, demain

Pourquoi les Etats-Unis ont-ils envahi l’Irak ? Et pourquoi d’importants secteurs de l’élite politique, comme Scowcroft, s’y opposent-ils ? Quelles sont les raisons du maintien de la présence états-unienne ?
Noam Chomsky : La raison officielle c’est ce que Bush, Powell, et d’autres, ont appelé « la seule question » qui importe : Est-ce que Saddam mettra un terme au développement des armes de destruction massive ? La directive officielle de la présidence signale comme premier objectif : « libérer l’Irak de façon à éliminer les armes de destruction massive irakiennes, les moyens d’y parvenir et les programmes qui y sont associés, afin d’empêcher l’Irak de briser l’équilibre et de devenir ainsi une menace encore plus dangereuse dans la région et au-delà ». C’est sur cette base que le soutien du Congrès a été obtenu pour l’invasion. La Directive indique plus loin comme objectif : couper « les liens entre l’Irak et le terrorisme international », etc. Quelques phrases sont ajoutées provenant des plats réchauffés qui accompagnent toute action et qui constituent un discours universel obligé, donc considérées comme sans intérêt par les personnes raisonnables, mais qui sont brandies par les système doctrinal lorsque c’est nécessaire.
Lorsque la « seule question » a été répondue de la mauvaise façon, et lorsque les affirmations concernant le terrorisme international sont devenues par trop embarrassantes à répéter (certes pas pour Cheney et quelques autres), l’objectif est devenu la « promotion de la démocratie ». Les medias et les journaux et presque tout le monde universitaire, ont rapidement bondi sur la tribune, ont vite découvert qu’il s’agissait de la guerre la plus noble de l’histoire, poursuivant la mission messianique de Bush d’apporter la liberté et la démocratie au monde. Quelques Irakiens en sont d’accord : 1% (un pour cent) selon un sondage à Bagdad au moment de l’annonce du lancement de la mission à Washington. Par contre, en Occident, peu importe qu’il existe une montagne de preuves qui réfutent l’affirmation, et même sans prendre en compte le timing -qui devrait les plonger dans le ridicule- la preuve que la mission est bien celle-ci c’est que notre Cher Leader l’a déclaré. J’ai fait l’inventaire des tristes écrits sur ce sujet. Cela se poursuit sans guère de changement jusqu’à aujourd’hui, avec une telle persistance que j’ai cessé de collecter les absurdes répétitions du dogme.
La véritable raison pour l’invasion, sans aucun doute, c’est que l’Irak est la deuxième réserve de pétrole dans le monde, très facile à exploiter, et le pays se trouve en plein cœur de la plus grande réserve d’hydrocarbure du monde, ce que le Département d’Etat considérait déjà il y a 60 ans « comme une fabuleuse source de pouvoir stratégique ». L’objectif ce n’est pas d’accéder mais de contrôler (pour les entreprises pétrolières l’objectif est le profit). Le contrôle sur ses ressources donne aux Etats-Unis « un appréciable avantage » par rapport aux pays industrialisés rivaux, pour emprunter l’expression de Zbigniew Brezinski, qui répétait ce qu’avait dit George Kennan, un des responsables de la planification politique, qui avait reconnu que ce contrôle donnerait aux Etats-Unis « un pouvoir de veto » par rapport aux autres. Dick Cheney a observé que le contrôle des ressources énergétiques offre des « instruments d’intimidation et de chantage » - lorsqu’elles se trouvent entre les mains des autres, selon lui. Nous sommes trop purs et nobles pour nous appliquer ces considérations à nous-mêmes ; et les vrais croyants déclarent - ou plus exactement présupposent simplement- que ce point est trop évident pour nécessiter davantage d’explication.
Il y a au sein des élites une condamnation sans précédent de l’invasion de l’Irak, y compris des articles dans les plus grands périodiques spécialisés la politique étrangère - dans la publication de l’American Academy of Arts and Sciences, par exemple. Les analystes les plus rationnels pouvaient percevoir que l’entreprise impliquait de gros risques pour les intérêts états-uniens, quoi que l’on entende par ce terme. L’opposition internationale était très forte, et le coût probable pour les Etats-Unis était perceptible, bien que la catastrophe créée par l’invasion est allée bien au-delà des pires scénarios imaginés. Il est amusant de voir les mensonges des plus grands supporters de la guerre qui essaient de nier avoir dit ce qu’ils ont dit tout à fait clairement. Il y a une bonne récapitulation de la malhonnêteté des intellectuels néoconservateurs (Ledenn, Krauthammer, et d’autres) dans The American Conservative du janvier 2007 ; mais ce ne sont pas les seuls.
En ce qui concerne les raisons de rester, je ne peux que répéter ce que je dis depuis des années. Un Irak souverain, relativement démocratique, pourrait bien être un vrai désastre pour les architectes de la géopolitique états-unienne. Avec une majorité chiite, il est probable que les relations avec l’Iran s’améliorent. Il y a des chiites en Arabie saoudite juste à la frontière, fortement opprimés par la tyrannie soutenue par Washington. Toute avancée vers la souveraineté en Irak encourage la lutte pour les droits humains et pour l’autonomie dans cette région - et il se trouve que c’est l’endroit où se trouve la plus grande partie du pétrole saoudien. La souveraineté en Irak pourrait bien engendrer une alliance chiite, indépendante des Etats-Unis, contrôlant la plus grande réserve d’hydrocarbure du monde et menaçant la pérennité de l’un des principaux objectifs des Etats-Unis depuis la Deuxième guerre mondiale - quand ils sont devenus le principal pouvoir mondial. Encore plus grave, si les Etats-Unis peuvent intimider l’Europe ils ne peuvent pas intimider la Chine ; cette dernière suit gaillardement sa propre voie, y compris en Arabie saoudite, le joyau de la couronne - raison principale qui fait que la Chine est considérée comme une grande. Un bloc énergétique indépendant dans la région du Golfe entrera probablement en relation avec le Réseau de sécurité énergétique d’Asie [Asian Energy Security Grid], basé en Chine, avec le Conseil de Coopération de Shanghai, avec la Russie (qui dispose d’énormes ressources propres), ainsi qu’avec les Etats d’Asie centrale, et peut-être avec l’Inde. L’Iran est déjà associé avec eux, et un bloc chiite au sein des Etats arabes pourrait bien suivre la même tendance. Cela serait le cauchemar des architectes de la stratégie des Etats-Unis et de leurs alliés occidentaux.
Il y a donc de fortes raisons qui font que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne tenteront par tous les moyens de conserver le contrôle de l’Irak. Les Etats-Unis ne construisent pas une énorme ambassade de type palais - de loin la plus grande du monde, un peu comme une ville séparée à l’intérieur de Bagdad - et n’envoient pas des fonds pour des bases militaires pour finalement laisser l’Irak aux Irakiens. Cela ne permettrait pas aux entreprises états-uniennes de prendre le contrôle des immenses richesses de l’Irak.
Ces sujets, bien que certainement considérés comme de première importance par les architectes de la stratégie états-unienne, n’entrent pas dans l’éventail de la discussion - comme on peut le voir. C’est le genre de choses auxquelles on doit s’attendre. Ces considérations sont en opposition avec la doctrine qui établit les nobles intentions du pouvoir. Les gens au pouvoir, s’ils peuvent bien commettre de terribles gaffes, ne peuvent pas être animés de basses motivations. La forte concentration du pouvoir privé dans le pays n’as pas non plus la moindre influence. Tout questionnement à propos de ces Hautes Vérités est soit ignoré soit rejeté avec virulence - également pour de bonnes raisons : permettre la discussion de ces idées pourrait affaiblir le pouvoir et menacer les privilèges.
Je ne pense pas, soit dit en passant, que les commentateurs soient conscients de cela. Dans notre société, les élites intellectuelles sont profondément endoctrinées, ce qu’Orwell avait noté dans son introduction (non publiée) à La « Ferme aux animaux », où il parlait de l’efficacité de l’auto-censure dans les société libres. Orwell concluait que cela s’explique dans une bonne mesure par une bonne éducation qui inculque le principe selon lequel il y a des sujets « qu’il ne sert à rien d’aborder » - ou plus exactement, y compris d’y penser.
Du point de vue de l’élite, qu’est-ce qui représenterait une grande victoire en Irak ? Qu’est-ce qui serait un succès limité mais suffisant ? Et qu’est-ce qui serait considéré comme une défaite ? Pour être complet, comment la démocratie en Irak, la démocratie aux Etats-Unis, le bien-être du peuple irakien, ou le bien-être du peuple états-unien -ou y compris de nos soldats- entrent en ligne de compte dans les choix politiques des Etats-Unis ?
Une grande victoire ce serait d’établir un Etat client obéissant. Une modeste réussite serait d’empêcher un niveau de souveraineté permettant à l’Irak de suivre la voie naturelle dont je viens de parler. En ce qui concerne la démocratie, y compris les plus engagés dans l’université en défense de la « promotion de la démocratie » reconnaissent qu’il existe une « forte continuité » dans la volonté des Etats-Unis de promouvoir la démocratie en remontant aussi loin que voulez et jusqu’à nos jours : la démocratie est soutenue si et seulement si cela convient à nos objectifs stratégiques et économiques, de telle sorte que tous les présidents sont « schizophrènes », un mystère étonnant (Thomas Carothers). Cela est tellement évident qu’il faut vraiment une discipline impressionnante pour ne pas le remarquer. C’est un trait remarquable de la culture états-unienne (en fait de la culture occidentale) que tout esprit parfaitement endoctriné peut à la fois émettre des éloges exaltés à propos de notre stupéfiante défense de la démocratie et dans le même temps faire montre de la plus grande haine envers la démocratie.
Par exemple, en soutenant un châtiment brutal pour les personnes qui ont commis le crime de voter de la « mauvaise façon » lors d’une élection libre, comme c’est le cas de la Palestine aujourd’hui, avec des prétextes qui ne seraient pas pris au sérieux dans une société libre. En ce qui concerne la démocratie aux Etats-Unis, l’élite l’a toujours considérée comme une terrible menace, à laquelle il faut résister. Le bien-être des soldats est un sujet d’inquiétude, mais non prioritaire. Le bien-être de la population ici, il suffit de regarder les politiques à l’intérieur du pays. Bien entendu, tout cela ne peut être complètement ignoré, y compris dans des dictatures totalitaires, et encore moins dans des sociétés où le combat populaire a remporté un haut niveau de liberté.
Pourquoi l’occupation a-t-elle été un tel désastre, du point de vue de l’élite ? Est-ce que davantage de troupes auraient pu aider à la manœuvre au départ ? Etait-ce une mauvaise idée de démanteler l’armée et d’ordonner la débaassification ? Si ces politiques étaient des erreurs, pourquoi ont-ils commis ces erreurs ? Pourquoi les appels au retrait ne parviennent-ils pas seulement de l’opposition anti-guerre sincère, mais également de certaines élites qui ont des objectifs particuliers ? Est-ce que cela relève juste de la rhétorique ? Est-ce que ce sont des signes de différences réelles ?
Il y a beaucoup de commentaires émanant de l’élite concernant les raisons du désastre, ce qui ne s’est pas souvent vu dans l’histoire. Souvenons-nous que les nazis ont eu beaucoup moins de problèmes à gérer l’Europe occupée - et le plus souvent ce sont des civils qui étaient en charge de la sécurité et de l’administration - que les Etats-Unis n’en ont pour contrôler l’Irak. Et l’Allemagne était en guerre. La même chose est vraie pour ce qui concerne les Russes en Europe de l’est, et il y a beaucoup d’autres exemples, y compris dans l’histoire états-unienne. La première raison de la catastrophe, cela fait maintenant à peu près consensus, c’est ce dont m’a parlé (et j’ai écrit à ce sujet), quelques mois après l’invasion, un membre de l’une des organisations de secours les plus importantes - une personne de grande expérience dans les endroits les plus chaotiques du monde. Il revenait juste d’Irak, après avoir tenté de participer à la reconstruction de Bagdad, et il m’a dit qu’il n’avait jamais vu un tel déploiement « d’arrogance, d’incompétence et d’ignorance ». Les nombreuses erreurs sont le sujet d’une vaste littérature. Je n’ai rien de particulier à ajouter, et franchement, le sujet ne m’intéresse pas outre mesure, pas plus que les erreurs tactiques des Russes en Afghanistan, l’erreur commise par Hitler quand il a ouvert la guerre sur deux fronts, etc.
Quel a été l’impact du mouvement anti-guerre sur les décideurs politiques ? Est-ce que les choix faits par l’élite auraient été différents s’il n’y avait un mouvement anti-guerre ? Si on fait une comparaison avec la période vietnamienne, cette guerre semble être beaucoup plus contestée, si bien que le soutien de l’élite faiblit plus vite et plus fort que lors de la guerre du Vietnam. L’opposition est moins militante et moins passionnée aujourd’hui, mais certainement plus ample et de plus grande portée. Qu’en pensez-vous ?
Il est difficile de se faire une idée de l’impact qu’on peut avoir sur la politique. Dans le cas de l’Indochine, il existe les archives internes ; dans le cas de l’Irak non, il s’agit donc d’une appréciation beaucoup plus subjective.
Pour le reste je crois que nous devons être prudents pour faire une comparaison des deux guerres. Elles sont de natures différentes, et les conditions ont beaucoup changé. La guerre d’Indochine a commencé peu après la Deuxième guerre mondiale, lorsque le gouvernement Truman a pris la décision de soutenir la reconquête menée par la France dans son ancienne colonie. Les Etats-Unis ont alors empêché une solution diplomatique et ont installé un Etat brutal et corrompu dans le Sud-Vietnam, ce qui a déclenché une résistance qu’ils n’ont pas pu contrôler, y compris après avoir tué des dizaines de milliers de personnes. En 1961, le gouvernement Kennedy a décidé de passer à l’attaque directe.
En quelques années le Sud-Vietnam a été dévasté, et en 1965, le gouvernement Johnson a étendu la guerre au Nord-Vietnam dans l’espoir de voir Hanoi faire pression sur la résistance du Sud-Vietnam pour qu’elle renonce, envoyant dans le même temps des centaines de milliers de soldats pour occuper le Sud-Vietnam. Pendant toute cette période, il n’y a quasiment pas eu de contestation, ou en tout cas si faible qu’il y a peu de personnes qui savent que Kennedy a brutalement attaqué le Sud-Vietnam en 1962. La guerre était impopulaire, si bien que les stratèges qui entouraient Kennedy avaient tenté de trouver comment réduire le rôle de Etats-Unis, mais seulement - et Kennedy insiste jusqu’à la fin - une fois la victoire obtenue. Aussi tard qu’en octobre 1965, la première manifestation publique d’opposition à la guerre, à Boston la libérale, a été brisée par une contre-manifestation pleinement soutenue par les medias libéraux. A cette époque-là la guerre contre le Vietnam avait déjà atteint, en termes de violence, une dimension supérieure à celle de l’actuelle invasion de l’Irak.
L’Irak est en proie à la violence aujourd’hui, mais c’est radicalement différent de la situation indochinoise, où les Etats-Unis menaient une guerre meurtrière contre la population en général, laquelle soutenait la résistance sud-vietnamienne, comme les experts états-uniens le savaient parfaitement bien, et le signalaient parfois même publiquement. Beaucoup plus tard, un mouvement anti-guerre s’est développé, vers 1967-1968, incluant une résistance directe à la guerre, mais il faut se souvenir combien cela a tardé, et combien plus horribles étaient les actions des Etats-Unis au Vietnam qu’en Irak. Et même au pire moment de la guerre, le mouvement anti-guerre se concentrait principalement sur les bombardements du Nord, et l’opposition de l’élite se limitait à cela en gros, en raison de la menace que l’extension de la guerre au Nord signifiait pour le pouvoir et les intérêts des Etats-Unis - là où il y avait des ambassades étrangères, des navires russes dans le port de Haiphong, une voie ferrée chinoise qui passait à l’intérieur du Nord-Vietnam, un système de défense anti-aérien puissant, etc. La destruction du Sud-Vietnam, la cible principale tout au long de la guerre, a provoqué beaucoup moins de contestation, et était perçue comme peu coûteuse. Le gouvernement reconnaissait tout cela.
Pour prendre un exemple, les archives internes révèlent que les bombardements du Nord-Vietnam étaient méticuleusement planifiés, on évaluait les conséquences. Par contre, on ne prêtait guère d’attention aux bombardements du Sud-Vietnam qui étaient beaucoup plus intenses. En 1965 les bombardements du Sud-Vietnam - qui avaient déjà produit des effets désastreux - ont été augmentés en intensité. En 1967 Bernard Fall, spécialiste le plus respecté du Vietman, un expert militaire qui n’était pas spécialement une colombe, se demandait si la société vietnamienne allait tout simplement continuer d’exister en tant qu’entité culturelle à la suite des attaques états-uniennes.
A la différence du cas vietnamien, il y a eu de protestations massives contre la guerre d’Irak, y compris avant qu’elle ne commence officiellement, et l’opposition est restée importante, beaucoup plus importante que pour les étapes équivalentes de l’invasion états-unienne du Sud-Vietnam.
Pour en revenir à ce qui était en jeu, le prétexte concocté pour les guerres d’Indochine : empêcher que la conspiration sino-soviétique ne s’empare du monde. L’irréalisme des planificateurs états-uniens - des « wise men » (« messieurs avisés » du gouvernement Truman jusqu’aux années Eisenhower avec le « best and the brighest » (« le meilleur et le plus brillant »- était assez extraordinaire, particulièrement en ce qui concerne l’image qu’ils peignaient de la Chine, laquelle changeait selon les circonstances. Bien qu’on sache déjà beaucoup, la première grande étude sur le sujet de la Sécurité Nationale pendant ces années-là est parue tout récemment : « La Chine de Washington » de James Peck. La presse n’en absolument pas rendu compte, ce qui est très révélateur.
Il y avait bien sûr des éléments plus sains parmi les planificateurs. Ils reconnaissaient que les intérêts véritables étaient menacés, non pas sous la forme d’une « Manchourie slave » (Dean Rusk) et non pas en incluant la « Chine révolutionnaire » comme faisant partie de la « conspiration impitoyable et monolithique » qui veut prendre le contrôle du monde (Kennedy), etc. Les archives internes révèlent les préoccupations habituelles de la version réaliste de la théorie des dominos - assez distincte de la fiévreuse version servie au public, mais tellement rationnelle qu’elle est continûment évoquée dans les archives internes. La crainte dans ce cas-là - crûment évoquée dans les archives internes - c’était qu’un Vietnam indépendant poursuive une voie de développement qui pût inspirer les autres dans la région.
Il pourrait bien s’agir d’un cas de « virus devenant contagieux », selon la rhétorique de Kissinger (ainsi parlait-il d’Allende), peut-être jusqu’à l’Indonésie qui dispose de nombreuses richesses. Cela pourrait amener le Japon à s’accommoder d’une Asie du sud et d’une Asie du sud-est indépendantes et devenant des pôles de développement technologiques, refondant ainsi le Nouvel ordre japonais hors du contrôle des Etats-Unis (Kennan ainsi que d’autres planificateurs considéraient que c’était quelque chose de très bien si et seulement s’il demeurait sous contrôle états-unien). Cela aurait signifié que les Etats-Unis avaient perdu la Deuxième Guerre mondiale dans le Pacifique. La réaction naturelle a été de détruire le virus et d’instaurer de féroces dictatures afin d’immuniser ceux qui auraient pu succomber. L’objectif a été atteint, une grande réussite. C’est pourquoi le conseiller en sécurité nationale McGeorge Bundy signalait plus tard que les Etats-Unis auraient peut-être bien dû arrêter leur effort de guerre en 1965, après le coup d’Etat de Suharto en Indonésie, lequel avait déclenché une grande euphorie après le massacre de centaines de milliers de personnes, la destruction de la seule organisation politique de masse et l’ouverture du pays aux pilleurs occidentaux.
Les vrais enjeux existaient, et la victoire des Etats-Unis n’est pas négligeable. Les prétextes concoctés, apparemment avec sincérité, étaient colossaux. Les enjeux en Irak sont également énormes, mais il n’est pas évident qu’ils dépassent ce qui était estimé dans le cas de l’Indochine. De plus, le pays a pas mal changé à la suite de la période militante des années 1960. Le mouvement contre la guerre au Vietnam lorsqu’il s’est finalement développé n’a pas été affaibli par des questions plus larges comme c’est le cas de la vie militante aujourd’hui. Je pourrais facilement développer y compris en m’en tenant à mon expérience personnelle. Considérez simplement les conférences : A la fin des années 1960 à peu près toutes les demandes concernaient la guerre du Vietnam. Aujourd’hui seulement une partie de ces conférences concernent la guerre en Irak, non pas parce que la guerre n’est pas un sujet d’inquiétude, mais parce qu’il y beaucoup d’autres sujets d’inquiétude.
Par ailleurs le déluge d’invitations est beaucoup plus grand en nombre, sur un tas de sujets qui étaient à peine discutés il y a 40 ans, et les audiences sont beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus engagées. Il existe beaucoup d’autres facteurs qui détournent de la vie militante, par exemple la grande quantité d’énergie dépensée par le Mouvement pour la Vérité sur le 11 Septembre [« 9/11 Truth Movement »]. Il peut y avoir une impression de militantisme anti-guerre plus faible aujourd’hui par rapport au Vietnam, mais je crois que c’est une erreur - même si les protestations contre la guerre en Irak sont loin de parvenir au niveau qu’elles devraient atteindre.
Quels sont les politiques dont disposent les planificateurs bellicistes aujourd’hui ? Quelles options satisfaisantes leur reste-t-il ? Est-ce que le retrait est possible ? Est-ce que le retrait conduirait à une guerre civile encore pire ? Est-ce que le retrait conduirait à la victoire des baasistes ou des fondamentalistes islamiques ? Quel serait l’effet respectif de chacune de ces options ? S’il n’y a pas de retrait maintenant, sous la contrainte de l’opposition ou souhaité par certaines élites, ou les deux, quelle politique sera-t-elle suivie ?
L’une des politiques disponibles pour les planificateurs états-uniens c’est d’accepter les responsabilités des agresseurs : payer des réparations massives pour leurs crimes - non pas une aide, mais des réparations - et de répondre aux attentes des victimes. Mais cela est hors de question, cela ne peut pas faire partie des commentaires possibles, dans des sociétés où la mentalité impériale est fortement enracinée et la classe intellectuelle est fortement endoctrinée.
Le gouvernement et les commentateurs savent bien - grâce à des sondages réalisés par des entreprises occidentales ou états-uniennes - ce que souhaitent les victimes. Les résultats sont assez stables. A l’heure actuelle, les deux tiers des bagdadi souhaitent le retrait des Etats-Unis, et environ 70% des Irakiens souhaitent que soit fixé un chronogramme précis du retrait, généralement dans un délai d’un an, voire moins. Cela signifie un pourcentage beaucoup plus élevé dans l’Irak arabe, là où les troupes sont déployées. 80%, en comptant les zones kurdes, croient que la présence des Etats-Unis fait augmenter la violence, et à peu près la même proportion croit que les Etats-Unis ont l’intention d’installer des bases militaires permanentes. Ces chiffres augmentent continûment.
Comme d’habitude, l’opinion irakienne est complètement ignorée. Les plans actuels prévoient l’augmentation de la présence des forces militaires états-uniennes à Bagdad, là où une grande majorité de la population veut qu’elles partent. Le rapport Beker-Hamilton ne faisait même pas mention de l’opinion irakienne sur la question du retrait. Ce n’est pas qu’ils n’aient pas disposé de l’information ; ils citaient les mêmes sondages, mais sur les questions qui sont importantes pour Washington, la question du soutien aux attaques contre les soldats états-uniens (considérées comme légitimes par 60% des Irakiens) ; c’est pour cela que le rapport conclut en recommandant des changements de tactiques. De la même façon l’opinion états-unienne n’est guère prise en compte, non seulement sur la question de l’Irak, mais également sur la question de la crise qui s’approche, l’Iran. 75% des Etats-uniens, y compris 56% des républicains, sont favorables à l’amélioration des relations avec l’Iran et défavorables à une politique de menaces.
Ce fait entre à peine en ligne de compte dans les évaluations politiques, ou dans les commentaires, de la même façon que les décisions politiques ne sont en rien influencées par les grandes majorités favorables à des relations diplomatiques avec Cuba. L’élite est profondément anti-démocratique, bien que noyée dans une rhétorique sur l’amour de la démocratie et sur les missions messianiques pour la promotion de la démocratie. Il n’y rien de nouveau ou de surprenant dans tout cela, et bien entendu cela ne se limite pas aux Etats-Unis.
Pour ce qui est des conséquences d’un retrait des Etats-Unis, chacun peut avoir son propre avis, incertain parce que privé de données précises, comme les avis de l’intelligence états-unienne. Mais nos avis n’ont guère d’importance, ce qui importe c’est ce que pensent les Irakiens, ou plutôt c’est ce qui devrait importer, et le fait que le point de vue des victimes entre à peine en ligne de compte nous dit beaucoup sur le caractère et le niveau moral de la culture intellectuelle dominante.
Quelles conséquences percevez-vous pour les différentes propositions politiques qui ont été avancées : a) les recommandations du comité Baker-Hamilton ; b) la proposition de Peter Galbraith-Biden-Gelb de diviser l’Irak en trois pays distincts ?
Les recommandations de Baker-Hamilton ne sont dans une certaine mesure qu’une liste de désirs : ne serait-ce pas mieux si l’Iran et la Syrie voulaient bien nous aider ? Toutes les recommandations sont tellement vagues qu’elles n’ont quasiment aucun sens. Ainsi, les troupes devraient être réduites, sauf si elles sont nécessaires pour protéger les soldats états-uniens - par exemple, ceux qui se trouvent intégrés dans des unités irakiennes, considérés par beaucoup comme des cibles légitimes. Le rapport contient quelques recommandations discrètes, mais parfaitement attendues, pour permettre aux grandes entreprises (principalement états-uniennes et britanniques) de prendre le contrôle des ressources énergétiques. Tout cela se trouve hors de tout débat - considérant probablement qu’il est inapproprié que l’opinion publique soit tenue au courant. Il y a quelques mots pour recommander au président d’annoncer que nous n’envisageons une présence militaire permanente, mais sans le moindre appel pour mettre un terme aux constructions. Et le reste est à l’avenant. Le rapport rejette toute proposition de partition, y compris les plus modestes propositions préconisant une structure fédérale. Bien que cela ne nous regarde pas, bien que nous n’ayons pas le droit de décider, leur scepticisme est probablement un gage. Les pays voisins seraient très hostiles à un Kurdistan indépendant -pays divisé territorialement. Cela pourrait amener la Turquie à envahir le pays et cela fragiliserait la vieille alliance Etats-Unis-Turquie-Israël.
Les Kurdes sont nettement favorables à l’indépendance, mais ils considèrent que cela n’est pas réalisable - pour le moment, en tout cas. Les Etats sunnites pourraient réaliser une invasion pour protéger les zones sunnites - lesquelles sont dépourvues de ressources. Les régions chiites renforceraient leurs liens avec l’Iran. Cela pourrait mener à une guerre régionale. A mon avis une solution fédérale serait préférable, et pas seulement en Irak. Mais cela ne semble pas réaliste à court terme.
Quelles devraient être les décisions politiques selon vous ? Si on suppose que l’inquiétude sincère pour la démocratie, que l’inquiétude sincère pour le bien-être de la population et que l’inquiétude sincère pour la loi et la justice finissaient par déterminer la décision politique, ou si on suppose que l’opposition anti-guerre puissent décider les termes de la politique, quelle devrait être la politique des Etats-Unis ?
La réponse pour moi est assez claire. La politique devrait être celle qui est réservée à tous les agresseurs : 1) payer des réparations ; 2) écouter les souhaits des victimes ; 3) les coupables devraient assumer et rendre des comptes, selon les principes de Nuremberg, la Charte des Nations Unies, parmi d’autres instruments internationaux, y compris la Loi états-unienne des crimes de guerre [War Crimes Act] avant qu’elle ne fût dénaturée par la Loi des Commissions Militaires [Military Commissions Act] - l’un des dispositifs juridiques les plus honteux de l’histoire des Etats-Unis. Il n’y a rien de mécanique dans les affaires humaines, mais ce sont là des linéaments assez fiables. Une proposition plus pratique : œuvrer au changement de notre société et de notre culture, au moins un minimum, afin que ce qui devrait être fait puisse devenir un sujet de discussion. C’est un travail de longue haleine, non seulement sur cette question, bien que je pense que l’opposition de l’élite soit beaucoup plus déterminée que celle de la société en général.
Interview réalisée par Michael Albert.
Le Grand Soir - 12 janvier 2007Version originale : Znet, December 31, 2006 - Iraq : Yesterday, Today, and Tomorrow
Traduit de l’anglais par Numancia Martínez Poggi
dimanche 14 janvier 2007 http://www.info-palestine.net/

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vendredi, janvier 26, 2007

maroc : resistances

Une vague de mobilisations contre la hausse des prix des produits de première nécessité montre que les résistances sont toujours à l’œuvre au Maroc.
Depuis plusieurs mois, un mouvement de résistance prend forme au Maroc, impliquant potentiellement des dizaines de milliers de citoyens contre la dégradation du pouvoir d’achat et le renchérissement du coût de la vie. En quelques semaines, une augmentation sensible du prix des biens de première nécessité (huile, lait, légumes, levures, eau minérale) a eu lieu, en partie en raison de l’augmentation du taux de TVA, passant de 7 à 10 %, inscrit dans la loi de finances de 2006, ce qui a eu pour effet direct le renchérissement de l’indice du coût de la vie de 3,3 %. La hausse du prix des transports (de 40 %), du prix de l’eau et de l’électricité (de 7 %) a porté un coup sévère aux conditions de vie de l’immense majorité.
Ces hausses de prix sont le fruit de plusieurs facteurs : la baisse drastique des subventions publiques à la consommation des ménages, la libéralisation des prix, l’augmentation de la TVA, mais aussi la délégation de services publics, notamment en ce qui concerne l’eau et l’électricité, aux profits de multinationales essentiellement françaises (Vivendi, Lyonnaise des eaux). Ces dernières se sont vues offrir sur un plateau d’argent la gestion de ces services publics de base dans la plupart des grandes villes sans aucune contrepartie réelle : les promesses d’assainissement des égouts, d’extension de fourniture en eau potable, de raccordement électrique et toutes les obligations réglementaires sont restées sans suite au regard des besoins.
En revanche, très rapidement, avec l’accord des autorités, la tarification a été réévaluée à la hausse. Avec un cynisme complet, le directeur général de la Régie autonome de distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement de la wilaya1 de Rabat-Salé (Redal), Gilles Guillaume, déclare à la presse vouloir éduquer les citoyens à ne plus gaspiller en élevant les prix ! Dans un pays où le taux de chômage réel dépasse 20 %, où des millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, ils sont nombreux à apprécier.
Politisation
Concentrées dans le temps, ces hausses de prix, contrairement à d’autres périodes (1981, 1984, 1990) n’ont pas débouché sur des émeutes. Pour deux raisons majeures : l’opposition traditionnelle et ses relais syndicaux n’ont appelé à aucune mobilisation, car empêtrés dans une intégration institutionnelle sans limite, servant de faire valoir à la « démocratie de façade » de la monarchie, et impliqués depuis plusieurs années dans la gestion libérale sauvage et les privatisations. Ainsi, par exemple, la Confédération démocratique du travail (CDT), qui avait appelé à la grève générale en 1981 contre les mesures de hausses des prix, a approuvé la loi de finance. Deuxième élément, le poids des défaites antérieures du corps social et l’intégration en négatif des capacités répressives du pouvoir ont rendu les réactions de masse difficiles. Pour autant, la résistance s’est frayé un nouveau chemin.
L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a joué un rôle majeur dans l’impulsion d’une dynamique de lutte. À partir d’une vision large du combat des droits humains, intégrant la défense des droits sociaux et économiques, l’AMDH, qui regroupe l’essentiel des composantes de la gauche démocratique et radicale, légale et extralégale, a de fait constitué un front unique politique, partiel sans doute mais décisif dans la mise en place de coordinations locales contre la vie chère dans la majeure partie de villes du Maroc (plus de 70 coordinations locales). Près d’une vingtaine d’associations et de courants politiques se sont regroupés dans un front. Cette initiative a rencontré les mobilisations populaires spontanées de protestation contre les sièges de délégation d’eau et d’électricité, et elle a impulsé un cycle de mobilisation parfois quotidien en phase avec le ras-le-bol généralisé. Ce processus, appuyé par des signatures de pétition, des réunions de quartier, un large travail d’information et de sensibilisation, a été extrêmement politique.
Nouvelle dynamique
Pour la première fois, sous une forme collective, la dépendance des exécutifs locaux ou nationaux aux desiderata des multinationales fut dévoilée au grand jour.
Pour la première fois, bousculant les manœuvres du pouvoir et des partis qui lui sont inféodés, la question sociale s’invite comme première préoccupation, alors que l’establishment est focalisé sur les nouvelles règles électorales appelées à dessiner une nouvelle carte politique par et pour les élites, lors des législatives de cette année. Bien plus, dans certaines localités, un processus d’auto-organisation a vu le jour, la mobilisation étant portée par des comités d’habitants soutenus par la coordination locale, permettant d’exprimer un potentiel de mobilisation et de radicalité, malgré les difficultés liées au manque d’expérience et aux tentatives du pouvoir de créer des fractures entre comités. C’est le cas notamment à Safi, où nos camarades ont joué un rôle décisif dans l’animation de la lutte.
Altermondialisme
La journée du 14 décembre fut une journée d’action nationale décentralisée qui fut partout un véritable succès. Prélude à la manifestation nationale du 24 décembre, elle était une journée test pour vérifier l’état d’esprit et la combativité de « ceux d’en bas ». Elle fut partout marquée par une participation importante des femmes, des jeunes et des habitants. Cela est d’autant plus honorable que les coordinations locales avaient très peu de moyens et aucun accès aux médias. Le 24 décembre, la manifestation a regroupé près de 15 000 personnes. Cela peut paraître peu par rapport à l’investissement consacré, mais ce serait faire abstraction de l’absence de tradition de mobilisation nationale sur ce type de question, la faiblesse des moyens matériels et organisationnels des forces qui y participent, les difficultés financières pour se déplacer, l’énorme hostilité de toute la classe politique et des médias. En vérité, compte tenu des rapports de force globaux et du climat de défaite de cette dernière décennie, ce fut un succès et un point d’appui pour continuer la mobilisation.
Le défi pour la gauche sociale et politique était de recréer un espace d’accumulation des forces et une visibilité autonome à partir de la question sociale de recentrer ainsi le débat politique et électoral sur un terrain de lutte et non pas d’arrangements en coulisse orchestrés par le ministère de l’Intérieur. Mais aussi de proposer un cadre et des objectifs de mobilisation qui ne se réduisent pas à des revendications sectorielles, mais qui abordent de front la question de la répartition des richesses et de la nécessité d’une démocratie jusqu’au bout qui ne se réduise pas à une farce électorale où rien ne change.
L’effet politique de ces mobilisations est important. D’une part, il fait apparaître la rupture entre les directions de l’opposition syndicale et politique traditionnelle et les majorités populaires, qui cherchent d’autres formes de lutte et d’expression de leurs intérêts. Cette tendance est un fait majeur de ces dernières années. Les directions syndicales ont refusé de s’impliquer, se contentant aux mieux de soutenir du bout des lèvres la mobilisation, même si certaines fédérations se sont associées plus ou moins à la lutte. Quant aux partis de la gauche gestionnaire, ils se sont enferrés dans un silence assourdissant, quand ils n’ont pas laissé entendre que cette mobilisation était manipulée par l’extrême gauche. D’autre part, alors que partout est galvaudée la montée irrésistible de la mouvance islamiste (fait bien réel par ailleurs), les coordinations locales ont réussi à s’imposer et à contrer leur hégémonie, même dans certains quartiers, où règnent le désespoir social et un quadrillage associatif de cette mouvance. Si, au final, les mobilisations n’ont pu imposer une annulation des hausses - tout au plus des concessions partielles et locales -, elles ont fait la démonstration qu’un front uni de la gauche sociale et politique, tourné vers les luttes et des objectifs de rupture, peut être un point d’appui décisif à la reconstruction d’un rapport de force et d’une alternative globale. Pour la première fois, c’est explicitement contre la mondialisation capitaliste, les politiques sociales et économiques menées depuis des décennies, le refus des institutions en place que se forge une unité dans les luttes. La mobilisation n’est pas finie. La perspective d’organiser nationalement, dans une structure permanente, les coordinations locales a été retenue par les principaux animateurs, ainsi que l’appel à une nouvelle manifestation nationale à Casablanca en mars. Une fenêtre s’est ouverte.
Chawqui Lotfi
1. Entité administrative. 2. Article réalisé en collaboration avec Solidaires pour une alternative sociale, regroupement militant marxiste révolutionnaire marocain qui lutte pour l’émergence d’une alternative anticapitaliste, internationaliste, pluraliste et démocratique et d’un front social et politique de lutte tournée vers la reconstruction/refondation d’un mouvement populaire indépendant. Contact : . Appel de la coordination nationale de lutte contre la hausse des prix (extrait)
Après un échange sur la dégradation de la situation sociale des masses populaires en raison des politiques de classe imposées, source d’un appauvrissement global et de destruction des acquis sociaux obtenus après des années de lutte et de résistance [...], nous faisons le constat que la loi de finances de 2007 consacre la régression sociale et met en place un régime fiscal qui traduit la dépendance par rapport aux exigences des centres financiers internationaux et des États impérialistes [...]. La coordination note également la montée de la colère populaire dans tout le pays à laquelle elle apporte tout son soutien.
Elle affirme sa condamnation des hausses des prix et exige leur annulation immédiate.
Elle dénonce la répression des mouvements sociaux.
Elle condamne l’exclusion de dizaines de milliers d’enfants et de jeunes et du droit à l’éducation.
Elle condamne la dilapidation de l’argent public et refuse l’impunité de leurs bénéficiaires.
Elle revendique le retour au public des services privatisés et l’expropriation des sociétés Amandis, Lydec, Redal... et l’arrêt de tout processus de privatisation.
Elle défend l’augmentation du Smic et l’application de l’échelle mobile des salaires.
Elle exige la gratuité des soins, de l’enseignement et le droit à l’emploi.

• Pour plus d’information : Blog des coordinations contre la hausse des prix ( et ).
LIGUE COMMUNISTE REVOLUTIONNAIRE "Nos vies valent plus que leurs profits" http://www.lcr-rouge.org
2007-01-26 10:00:27 / De : lotfi / Bellaciao

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jeudi, janvier 25, 2007

La FIDH appelle à mettre fin à la répression meurtrière en Guinée-Conakry

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation guinéenne des droits de l’Homme (OGDH) son organisation membre en Guinée-Conakry réitèrent leur vigoureuse condamnation de la répression sanglante des manifestations populaires qui se déroulent depuis le 10 janvier 2007 dans tout le pays.
Au 14ème jour de la grève générale, les craintes exprimées par la FIDH et l’OGDH le 18 janvier 2007 , de voir la répression s’accroître, se réalisent : les forces de police et militaire guinéennes déployées dans le pays et qui tirent à balles réelles ont provoqué la mort d’environ 60 personnes et fait plusieurs centaines de blessés parmi les manifestants. Pour le seul centre hospitalier universitaire (CHU) de Donka, on dénombre près de 150 blessés.
Aujourd’hui même, les forces de sécurité appelées « anti-gang » ont tué 4 personnes au cours de la manifestation qui s’est déroulée dans la haute banlieue de Conakry. Le 22 janvier 2007, ce même corps de police a arrêté et détenu dans ses locaux une vingtaine de dirigeants syndicaux dont le Dr. Ibrahima Fofana (Secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinee - USTG) et Mme Hadja Rabiatou Diallo (Secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs guinéens - CNTG). La plupart ont été battus violemment avant d’être relâchés dans la nuit du 22 au 23 janvier.
La FIDH et l’OGDH condamnent ces exactions et s’inquiètent vivement de la poursuite de la répression alors que la garde présidentielle, appelée les « bérets rouges », est depuis peu épaulée par des forces militaires étrangères issues de Guinée-Bissau, risquant ainsi de régionaliser le conflit.
La FIDH et l’OGDH rappellent que le droit à la vie et le droit de manifestation sont des droits reconnus et garantis par les instruments régionaux et internationaux de droits de l’Homme ratifiés par la Guinée.
La FIDH et l’OGDH réitèrent leur appel aux autorités guinéennes de cesser immédiatement les violences à l’encontre des manifestants ; et d’engager un véritable dialogue en ouvrant des négociations avec tous les acteurs de la vie politique et sociale en vue d’un règlement pacifique et négocié des revendications.
La FIDH et l’OGDH demandent à la communauté internationale et notamment, à la CEDEAO, l’Union africaine, et l’UE de se saisir immédiatement de la situation en Guinée en faisant pression sur son gouvernement pour qu’il cesse la répression violente des manifestations pacifiques et favorise l’ouverture d’un dialogue juste et équitable.
La FIDH et l’OGDH appellent le Conseil de sécurité des Nations unies à adopter une résolution considérant que la situation en Guinée-Conakry menace la paix et la sécurité dans la région et demandant la tenue d’une mission d’enquête internationale indépendante afin de faire la lumière sur l’ampleur de la répression, d’identifier les auteurs de ces crimes et d’établir leurs responsabilités.
23/01/2007Guinée-Conakry www.fidh.org/
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Davos, haut lieu des promesses non tenues


WEF Année après année, le Forum des multinationales – qui s'ouvre aujourd'hui à Davos – multiplie initiatives caritatives et promesses d'avenir radieux. Mais le bilan n'est pas fameux et, malgré la répression, la contestation se poursuit dans des auditoires comme dans la rue.
par Fabio Lo Verso / Mondialisation.ca, Le 24 janvier 2007
Ce constat est dressé par la Banque mondiale dans son rapport 2006 sur le développement. L'institution relève que, entre les pays en développement, si l'on exclut l'Inde et la Chine, les disparités ont augmenté vertigineusement à partir des années 1980. C'est surtout dans les pays africains que les inégalités s'accentuent: dans l'accès à l'éducation, à la santé, à l'emploi, aux infrastructures publiques ou encore au crédit. Investir en promessesEtranglés par les dettes, ceux-ci attendent toujours un geste de la part des pays riches.
Dans le dernier «Rapport de suivi des Objectifs du millénaire», les experts de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international exhortent les Etats les plus industrialisés à honorer leur promesse d'alléger la dette africaine. Rien n'y fait. Un projet de mécanisme visant à protéger les pays en cessation de paiement (présenté à Davos il y a six ans) subit le veto de Washington. A l'approche de l'édition 2006, Jeffrey Sachs, conseiller spécial de l'ONU en matière de développement, suggérait de «prendre les devants et d'au moins suspendre le remboursement». Il n'a pas été entendu. «Le Forum de Davos ne sert pas à prendre des décisions, il permet de façonner l'agenda des différents défis», martèle son service de presse. Reste que le WEF prend à son compte les bonnes idées aussi facilement qu'elle les laisse tomber dans l'oubli. Le besoin d'actes précis, mesurables, semble imprégner tous les débats à Davos, créant l'illusion de l'urgence. Mais cela reste, justement, une illusion.
Tout a été dit ou promis dans l'enceinte davosienne. Noyée dans le flot d'idées, seule la proposition d'une taxe pour financer la lutte contre la faim fait son chemin. Quelque 50 milliards de dollars sont nécessaires pour réduire de moitié les besoins en alimentation. En janvier 2004, un ancien président des Etats-Unis observait sans rougir que son pays dépensait au moins le quadruple de cette somme en armement. Quelque semaines après, le Bureau international du travail rendait public un rapport sur la dimension sociale de la mondialisation: le chômage frappe près de 190 millions de personnes dans le monde.
Et la précarité continue d'être en très forte hausse. Elle constitue cette année un thème de contestation pour les anti-Davos (lire ci-dessous). Les privatisations désastreuses des services publics complètent le sombre tableau présenté par le BIT. Sans oublier l'abaissement constant des normes sociales dans le travail. Dans ce contexte, n'aura pas non plus servi à grand-chose le programme «Global Compact» lancé à Davos, en 1999, par Kofi Annan, ex-secrétaire des Nations Unies. Objectif: inciter les entreprises à promouvoir les droits fondamentaux et les garanties environnementales. Le poids du publicChoisir la tribune davosienne n'a pas eu l'effet attendu par l'ONU. L'écrasante majorité des firmes transnationales n'ont pas adopté l'esprit du Global Compact. Seule la pression publique a eu un effet sur les entreprises qui se sont engagées à garantir une production respectueuse des droits sociaux. «Sans l'intervention de la société civile, aucun résultat n'aurait été atteint», souligne Kenneth Roth, directeur exécutif d'Human Rights Watch. A l'arrivée, le Global Compact est davantage perçu comme un instrument pour «blanchir» les multinationales qui bafouent les droits humains qu'un moyen de gagner la bataille sur la responsabilité sociale des multinationales. Il y a là un enjeu majeur de gouvernance dans lequel les Etats, les organisations internationales, et la société civile, ont, eux, leur rôle à jouer. Davos s'en est mêlé, avec les résultats qu'on connaît.
Manifester contre Davos? Essaie toujours!BENITO PEREZTrois ans après le gigantesque fichage de Landquart, quatre après le traquenard policier à Fideris, le temps n'est plus aux mobilisations massives contre le WEF de Davos. Samedi, seul un petit groupe de contestataires[1] devrait tenter de s'infiltrer dans le camps retranché grison pour une «journée d'actions» plus qu'incertaine, au vu de l'armada sécuritaire qui les y attend. «Quand on a été gazés, retenus pendant des heures dans le froid avant d'être fichés, on a pas trop envie de retourner manifester», résume Margaret*, du Groupe anti-répression (GAR) de Lausanne. Démotivés les anti-Davos? Pas tous, comme l'ont prouvé les centaines de personnes qui ont battu le pavé samedi 20 janvier à St-Gall, Delémont et Zurich. Certains remettront le couvert samedi 27 à Bâle (Barfüsserplatz, 14 h), pour une marche... à plus de 200 km de Davos! «C'est une aberration», s'énerve Klaus*, un historique du mouvement, pour qui l'esprit frondeur de l'anti-Davos est mort. Au GAR, la lecture est quelque peu différente. «Davos n'a jamais été un but en soi, ce qui compte, c'est de créer un espace de critique au capitalisme», remarque Milton*. «La répression nous oblige à être imaginatifs», poursuit Margaret, qui se souvient de la «No Demo», une parodie de manifestation tenue à Berne en 2005, comme d'un moment «magique»: «Par l'humour, nous avions désarmé les anti-émeute.» Une façon de signifier: «Malgré la répression, vous ne nous empêcherez pas de manifester.» L'initiative faisait suite à l'immense rafle policière organisée l'année précédente à Landquart. Revenant de Coire, où ils avaient manifesté pacifiquement et légalement contre le WEF, plus d'un millier de militants s'étaient retrouvés bloqués dans cette localité grisonne, noeud ferroviaire sur la route de Zurich. Coincés entre une manif de skinheads et des centaines de policiers, ils avaient été laissés plusieurs heures sans information dans le froid et plusieurs fois gazés.
«Des gens pleuraient, d'autres étaient tétanisés», se souvient Margaret. Au final, 1082 personnes avaient été fichées. Photographies et empreintes digitales étant ensuite transmises par la police cantonale aux autorités fédérales. «Vu le dispositif mis en place, il est clair que tout avait été prémédité, accuse Milton. Cela ressemblait à un exercice de fichage de masse.» Une sensation renforcée par le fait qu'aucun des interpellés n'a été inculpé par la suite... Intimidation policière? En tout cas, le résultat est là. De 5000 contestataires de 2003 – bloqués à Fideris sur la route de Davos – puis 3000 manifestants à Coire, on est passé à un millier de protestataires relégués en 2006 à Berne. Très loin des caméras de télévision de Davos.
Source:Le Courrier
Basta

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lundi, janvier 22, 2007

L'homme juste



Le Juste restait droit sur ses hanches solides :
Un rayon lui dorait l'épaule ; des sueurs
Me prirent : « Tu veux voir rutiler les bolides ?
Et, debout, écouter bourdonner les flueurs
D'astres lactés, et les essaims d'astéroïdes ?

« Par des farces de nuit ton front est épié,

Ô Juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière,
La bouche dans ton drap doucement expié ;
Et si quelque égaré choque ton ostiaire,
Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié ! »
Et le Juste restait debout, dans l'épouvante

Bleuâtre des gazons après le soleil mort :
« Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente,
Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! Barde d'Armor !


Pleureur des Oliviers ! Main que la pitié gante !
« Barbe de la famille et poing de la cité,

Croyant très doux : ô coeur tombé dans les calices,
Majestés et vertus, amour et cécité,
Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !
Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté !

« Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide,
Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon !

Je suis maudit, tu sais ! Je suis soûl, fou, livide,
Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,
Juste ! Je ne veux rien à ton cerveau torpide.

« C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !
C'est vrai que la tendresse et ta raison sereines
Reniflent dans la nuit comme des cétacés !
Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes

Sur d'effroyables becs de cane fracassés !
« Et c'est toi l'oeil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes

Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !

Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !
Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes ! »
J'avais crié cela sur la terre, et la nuit

Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre.
Je relevai mon front : le fantôme avait fui,

Emportant l'ironie atroce de ma lèvre...

- Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui !
Cependant que, silencieux sous les pilastres

D'azur, allongeant les comètes et les noeuds
D'univers, remuement énorme sans désastres,
L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux

Et de sa drague en feu laisse filer les astres !
Ah ! qu'il s'en aille, la gorge cravatée

De honte, ruminant toujours mon ennui, doux
Comme le sucre sur la denture gâtée.
- Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous,

Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée.
Qu'il dise charités crasseuses et progrès...

- J'exècre tous ces yeux de Chinois à bedaines,
Mais qui chante : nana, comme un tas d'enfants près
De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :

Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !

Juillet 1871.
Arthur-rimbaud
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LA POÉSIE EST UNE ARME

La Poésie

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